4 et 6 Janvier : triste anniversaire de la rafle des Ardennes.
Je pense à Rosette et Ginette, jeunes filles arrachées à coup de crosse et de pied à la douceur de Champigneul-sur-Vence, chargées sur un camion débâché, sous la neige, et dont les derniers mots sont pour la garde-barrière de Saint-Pierre : « Vous direz au-revoir à Lucienne et Marie-Rose… »
Je pense au petit René Kornberg, le plus jeune déporté des Ardennes, âgé de 5 mois et demi, et à la détresse de sa maman, infirmière.
Je pense aux 41 enfants et aux 34 jeunes gens de 18 à 25 ans, parmi lesquels Maurice, 11 ans, si vif et joyeux, Henri, 11 ans, si studieux, Mina, 22 ans, si belle, Micheline, 15 ans, si courageuse…
Je pense à leurs descendants, hantés par l’incompréhensible, et par le vide vertigineux laissé par l’absence de tombe : là s’exprime fondamentalement l’inhumanité des nazis. Pensons qu’aux origines de l’humanité, ce qui a distingué l’Homme de l’animal, c’est le fait qu’il enterre ses morts.
De tous temps, mêmes aux plus cruels, sur les champs de bataille, on a inhumé les ennemis. A défaut, on a signalé le corps, mis le casque sur un bâton hâtivement planté, entassé quelques cailloux…
La volonté des nazis d’effacer toute trace de leur crime, mais aussi de la vie antérieure des victimes en faisant disparaître la mémoire de leurs noms, fait qu’ils se rejettent eux-mêmes en dehors de l’humanité, décidant « de faire disparaître ce peuple de la face de la terre » (Himmler) comme on le fait pour les poux, les virus… c’est-à-dire sans épargner les enfants, au contraire : il fallait exterminer toute mémoire possible, tout récit, toute parole possible.
Le prétexte « de ne pas laisser grandir des enfants qui se vengeraient sur nos fils et nos petits-enfants. » (Himmler) était fallacieux du simple point de vue du nombre !
La véritable raison, attestée par l’action des négationnistes actuels, est l’extermination du verbe, de la mémoire, de l’Histoire, tout ce qui distingue l’Homme de l’animal.
C’est pourquoi penser aux déportés, écrire et relire leurs noms, chercher les documents, les photos, les souvenirs qui apportent tant de joies (pourtant douloureuses) à leurs descendants privés de souvenirs sont d’abord des actes naturels plus que des devoirs.
Christine DOLLARD-LEPLOMB