A/ Transports
Les personnes enrôlées partent par groupes successifs de la gare de l'Est , par train de ligne ordinaire, sans garde : il ne s'agit pas de convois de prisonniers .
11 Novembre 1941 16
28 Novembre 1941
16 Décembre 1941
6 Janvier 1942
16 Janvier 1942
10 Mars 1942
27 Mars 1942
1er Mai 1942
13 Mai 1942
13 Juin 1942
3 Juillet 1942
23 Juillet 1942
31 Juillet 1942
7 Août 1942
25 Août 1942
28 Août 1942
4 Septembre 1942
15 Septembre 1942
6 Octobre 1942
16 Octobre 1942
Il s’agit de la liste des transports officiels. La recherche des personnes montre que nombre d’entre elles arrivent individuellement dans les Ardennes , que ce soit clandestinement ou en situation régulière : il s’agit de rejoindre la famille , en ayant l’impression d’être plus à l’abri qu’à Paris où la traque est quotidienne.
C’est ainsi que plusieurs personnes , notamment des enfants ,ont été retrouvées grâce aux témoins alors qu’elles ne sont recensées nulle part.B/ Liste des communes concernées .(51)
Autrecourt
Les Ayvelles
Balaives
Barby
Beaumont-en Argonne
Blagny
Boutancourt
Brévilly
Brieulles-sur-Bar
Bulson
Buzancy
Carignan
Chagny
Chalandry
Champigneul-sur-Vence
Chémery-sur-Bar (Blanche-Maison )
Les Deux-Villes
Dom-le-Mesnil
Ecly
Euilly-Lombut
Faux
Flize 17
Fraillicourt (La Folie)
Francheval
Frénois
Hauteville
Herbeuval
Illy
Inaumont
Margny
Mouzon
Nouart
Les Petites Armoises
Poix-Terron
Pouru-Saint-Remy
Puilly-Charbeaux
Remaucourt (Le Radois , Chaumontagne )
Rethel
Sachy
Sailly (ferme de Blanchampagne)
Saint-Marceau
Sedan
Seraincour
Singly (ferme de Thièves )
Son
Sorbon
Tétaigne
Vaux-les Mouzon
Villemontry
Wadelincourt
Yoncq ( la Thibaudine)
C/ Conditions matérielles ,logement , nourriture, circulation ,scolarisation.
Nous devons ici insister pour préciser certaines choses à propos du mot CAMP. On a parlé notamment du camp de Bulson. Le terme - le camp des Juifs - était couramment employé durant la guerre , dans certains villages concernés , non pas pour désigner, comme on l’imagine, un camp fermé , barbelé et gardé par des sentinelles sur des miradors. Il s’agit en réalité du Groupe des Juifs ,catégorie mise à part , et parfois de la maison où ils sont regroupés lorsque c’est possible, comme par exemple le château Habert à Wadelincourt, la ferme de Blanche-Maison , à Chémery-sur-Bar…etc. Mais le plus souvent , ils sont dispersés dans les habitations ordinaires, vidées par l'exode.
Cette erreur est renforcée par le fait que l’on retrouve souvent les termes LAGER (camp) et JUDENLAGER (camp de Juifs) dans les documents des autorités d’occupation.
En dehors des heures de travail , les Juifs ont interdiction de quitter leurs maisons, ou le village, de fréquenter les autres catégories de personnes. En réalité , ils le font ,mais discrètement. Mme Dereims , de Remaucourt , dit : « Il fallait faire attention aux va-et-vient le soir ,il y avait des Allemands partout. »
Daniel Dion , à Tétaigne: « Léon (Israël) , venait chez nous tous les soirs , il passait par derrière , il rentrait par l'écurie.»
Le principal problème est la nourriture , très insuffisante. Tout le monde est rationné mais les Juifs souffrent plus que les autres . Mme Tarradou dit : « On les aidait comme on pouvait , et quand on faisait une volaille (chez sa nourrice, qui deviendra sa belle-mère) on leur gardait la tête , les pattes , tout ce qui pouvait encore se manger.
Mme Dereims de Remaucourt dit : « J’avais une grosse ferme , je leur donnais un peu à manger : des œufs , une soupe au lait… »
Mr Mennessier , au Radois : « une femme est venue chercher du beurre, elle a voulu donner son collier en or .Mon père a dit non , je n’en ai pas , je vous en ferai dans 15 jours , mais vous garderez votre collier .Il lui a fait payer le prix normal . »
Mr Peltier , à Poix-Terron : « Ils doivent reconnaître qu’on les a aidés. Pis alors on volait , hein , parce que c’était un devoir de voler les Boches : ils en profitaient aussi les Juifs, nous on était du pays et on connaissait des sacrées combines . C’était pour manger , l’argent ne comptait pas .Y avait un magasin , avec du blé en vrac , on faisait un trou dans la planche , on faisait couler dans un seau , pis on mettait une cheville. On faisait du pain .Pour moudre , on avait des moulins à farine pour les bêtes , le pain était gris , c’était bon quand même.
Les Juifs ,c’étaient beaucoup des commerçants , surtout dans l’habillement. Ils rendaient des services , pis nous aussi , c’était main dans la main , tant que c’était pour faire des vacheries aux Schleus… »
Il est impératif de faire ici une digression qui éclaire et explique bien l'attitude des Ardennais contre l'occupant : elle concerne la terrible occupation de 1914-18.
Même s'il faut le dire avec beaucoup de précaution , en regard de certains drames , elle fut bien pire , pour les civils,que celle de la seconde guerre . C'est une histoire mal connue du grand public français ,car elle n'a concerné que les zones situées au nord du front .C'était un régime de terreur : disette permanente , réquisitions drastiques , exécutions sommaires , otages , tribunal de guerre, travail forcé, parfois à partir de l'âge de 7 ans etc...
Pour s'en faire une idée , on peut lire, choisi dans la bibliographie , le « Journal de la guerre 1914-1918 » par l'enfant Yves Congar , sedanais devenu cardinal par la suite .
En 1940 , 22 ans après , le souvenir en était encore très vif .
C'est ainsi que Mme Marguerite Mennessier , mère du témoin cité plus haut ,reçut la croix de guerre le 14 juillet 1919 pour avoir ravitaillé des soldats français cachés dans les bois près de sa ferme de la Folie , au nord du front , en zone d'occupation allemande . Les Allemands , en la condamnant à 25 ans de travaux forcés , la qualifièrent de « grande Française ».
On comprend mieux pourquoi « c'était un devoir de voler les Boches » et d'être « main dans la main » avec toutes les victimes des nazis. On comprend mieux pourquoi de si nombreux sauvetages de Juifs ont eu lieu , au péril de la vie des sauveteurs ardennais ,et notamment des sauvetages d'enfants .
Revenons aux conditions de vie .
A Blanche Maison , pour 20 personnes , on trouve , dans un inventaire du 4 Décembre 1941 :
-20 assiettes creuses
-20 tasses à café
-13 fourchettes
-13 cuillers à soupe
-2 couteaux de cuisine
-1 couteau à viande
-1 moulin à café
-1 seau
-1 passoire
-2 casseroles à lait
Outre que le moulin à café ne sert sans doute qu’à broyer un peu de grain volé pour faire du pain, on peut penser que cet équipement est sûrement suffisant pour le peu de nourriture dont disposent ces personnes ….
Le travail de la terre à cette époque est certes physique et pénible , mais il pourrait être tout -à-fait supportable dans des conditions normales d’équipement , de nourriture , de logement et de soins . Or , ces gens n’avaient rien de tout cela .
Ceux qui connaissent un tant soit peu la terre se représenteront aisément les souffrances générées par le travail forcé en toutes saisons, pour des personnes sous-alimentées et en costume de ville, sans parler des coups , brimades et violences permanentes dans certains
cas .
Schulze-Berge lui-même (Kreisleiter de Sedan ) déclare , dans son rapport du 23 Février 1942 : « Les gens ne sont pas équipés avec les souliers et les vêtements nécessaires , ce qui réduit de beaucoup leur capacité de travail , en particulier et surtout pendant la période hivernale. »
Mme Dereims dit : « Mme Rona , elle allait aux champs arracher des carottes avec des souliers à talons pointus. Elle était dans des états ! »
Mr Peltier :« Ils sont arrivés avec des costumes de ville , c’était pas de leur faute ! »
Mme Hélène Tarradou : « J’étais en pension à Forest , à la ferme, j’étais bien , j’avais à manger , j’allais à l’école, je n’avais plus besoin , à 10 ans ,de m’occuper de tout comme quand on était cachés à Paris. Le mercredi soir , pour la nuit , et le samedi soir jusqu’au dimanche soir , j’allais voir ma mère , qui travaillait au Radois. Elle n’avait rien , on dormait sur la paille ,il n’y avait pas de meubles , pas de vaisselle , rien : je n’aurais pas pu rester avec elle tous les jours . »
(En effet , avant d’arriver dans les Ardennes clandestinement en mars 1943, sur incitation de leurs cousins, la petite Hélène et ses parents se cachent après la rafle du vel d’Hiv.de Juillet 1942. Le père ,qui occupait un emploi clandestin, disparaît en Novembre, sans doute pris dans une rafle. .Tout le poids des démarches extérieures indispensables (tickets de ravitaillement etc…) retombe sur Hélène ,car sa mère a un fort accent yiddish .Hélène les entreprend à chaque fois en étant terrorisée , cachant son étoile sous le revers de son manteau , de Novembre à Mars… Heureusement, une employée de la mairie a deviné ...et lui recommande de toujours s'adresser à elle et à personne d'autre. Elle va seule à la gare de l’Est acheter les billets pour les Ardennes.)
Devant notre étonnement quant à la nourriture suffisante à la ferme , son mari confirme que le chef de culture savait qu’ils barbotaient des gerbes pour faire du pain , mais qu’il ne disait rien. Il y eut d'autres cas , heureusement , chez les chefs de culture .(voir :rôle des anti-nazis)
Mme Tarradou précise : « Mon cousin Roger Gelbart , travailleur au Radois n’a pas de bons souvenirs , lui , il a travaillé , pas comme moi ,et il a souffert ! »
Les témoignages concordent pour décrire un travail parfois comparable à celui de bête de somme, comme la scène de la herse (Juifs attelés comme des bêtes à une herse ) dans le roman de Pierre Coulon, scène véridique relatée par sa mère.
Concernant les salaires , les tarifs sont ainsi fixés par la W.O.L. :
-Juifs : 30F ( dont 14F sont retenus pour la « nourriture »)
-Obmann et médecin : 60F
-enfant :8F
-deux enfants : 14F
Pour les ouvriers non Juifs , le salaire est de 60F.
Mr Fichelet : « Ils étaient payés .Si je vous disais que moi je touche une retraite de la CRAM de NANCY pour ça ! Les Allemands ont cotisé pour nous à la sécurité sociale …Les Polonais aussi touchent quelque chose .Je ne parle pas des Juifs , pour eux , je ne sais pas ! »
Scolarisation :
Concernant le sort des enfants , un document de l’Inspection académique du 17 Mars 1943 recense les élèves israélites scolarisés dans les écoles primaires .
Bulson 5 , Boutancourt 5, Beaumont (en Argonne) 4, Brévilly 3, Chagny 1 , Fraillicourt 2, Francheval 3, Frénois 3 ,Les Ayvelles 1, Margny 1 , Olizy 2, Pouru-St-Remy 2 , Poix-Terron 3, Puilly-Charbeaux 6 , Saint-Marceau 2.
Collèges : 0 Cours complémentaire : 0
A l’âge du collège ,et même avant, les jeunes Juifs travaillent , comme le dit Georges Winograd , survivant , âgé de 12 ans à l’époque, rencontré à Puilly-Charbeaux le 18 Janvier 2004 : « On pouvait aller à l’école seulement s’il n’y avait pas de travail… »
et à Beaumont-en-Argonne « on allait aux doryphores , pendant les jours d'école , sur réquisition , avec la maîtresse. »
Celle-ci , Mme Soidé , toujours alerte en 2005 déclare :
« Non , je ne me rappelle pas individuellement de mes élèves juifs , parce qu'ils travaillaient bien , ils n'y avait aucune différence avec les autres , nombreux , et répartis dans plusieurs classes . Je me souviens seulement que les jeunes garçons juifs tricotaient très bien , et étaient très gentils . »
R. Pingard. Bulson:« Quand les Juifs sont arrivés , on était content , ça faisait du monde à l’école ,avec Mr Habran, sinon ,on était que 4 .Ils étaient 5 , je me rappelle vraiment de tout, leurs noms , leurs maisons , des souvenirs…. »
Citons le livre « Poix-Terron » de Jean-Jacques Leroux :
« Ils jouissent d’une semi-liberté .Du jour au lendemain , des familles entières déambulent dans les rues .Qui ne se souvient de ces petites jumelles de 6 , 7 ans , allant à l’école main dans la main ?»
Nous profitons de cette publication pour solliciter les élus , secrétaires de mairie , enseignants retraités ou non , afin qu’ils recherchent les registres matricule des écoles primaires .
Bien souvent , ils ont été jetés , alors que ce sont des « papiers publics » devant être archivés. Mais nombre d’entre eux dorment encore dans des armoires , des remises , des greniers , parmi des cartons et des sacs de papiers non triés , et sans doute plus sûrement dans l’école , ou dans l’ancienne école, que dans la mairie .
Il faut savoir que les enfants les plus jeunes ne sont pas recensés la plupart du temps dans les listes diverses que nous possédons .
Merci à l’avance à ceux qui nous aideront , car nous n’avons jusqu’alors , malgré des démarches officielles entreprises depuis Janvier 2003 , pas réussi à consulter un seul de ces registres , à l’exception de celui de Beaumont-en-Argonne, et de ceux de Margny et d’ Herbeuval déposés à la Médiathèque de Sedan.
D/ Le chef de culture.
S’il suffit aujourd’hui de prononcer le mot W.O.L. dans les villages ardennais pour susciter des réactions , c’est en premier lieu à propos du chef de culture. Citons Robert Pingard ,enfant à Bulson : « Le chef de culture était très très dur , grand , toujours à cheval , avec une grande blouse blanche, il les tapait sans arrêt (les Juifs). A la fin , les avions américains lui fonçaient dessus, il se cachait dans les épines ,le cheval revenait tout seul , on se disait –il est p’têt mort - mais, d’la merde ! il rev'nait au soir…
Il voyait tout , il savait tout . On avait de la nourriture , on ne pouvait pas y toucher : quand un prisonnier montait un sac de grain, il le secouait un peu , exprès, ça tombait dans les escaliers , on balayait vite, pour donner à 2, 3 poules qu’on avait. Il arrivait à le savoir , il venait… »
Les auteurs sont unanimes pour décrire les chefs de culture comme « de véritables maîtres de la vie paysanne « (préfet en 1942) , et des « tyranneaux » ou « caïds », toujours munis de leur schlague.
Marcel Croizon , au Radois : « le chef de culture était beaucoup plus dur avec les Juifs qu’avec les prisonniers français , il y avait une différence . »
Nous savons que Günther , chef de culture à Francheval , était d’une dureté épouvantable .
Certains sont moins durs , en général plus âgés .Mr Peltier Jean , de Poix-Terron , âgé de 16 ans à l’époque dit : « On en avait un , il avait fait 14-18, il avait de la pitié, beaucoup de pitié. On en a eu un autre avant , qui revenait du front russe , lui c’était une vraie peau de vache. »
René Posta , à Malmy : « le chef de culture il avait fait 14. V'là qu’ils se sont aperçus qu’avec le père Posta , maire de Chémery , ils étaient dans les mêmes tranchées ! …Alors , ils se parlaient . Mais sans plus , hein , attention , parce que c’était un Boche . »
Mireille Coulon ,de Remaucourt : « J’ai vu une jeune fille juive , elle avait 18 ans , elle en avait tellement marre, ils leur en faisaient tellement baver, elle avait pris la poudre d’escampette, elle voulait repartir à Paris. Le chef de culture qu’est parti avec son cheval et un soldat à moto , ils l’ont rattrapée avant Ecly , ils te l’ont ramenée à Remaucourt en courant , pis des coups de fouet sur les fesses :ensanglantée qu’elle était ! Il a pu été question qu’elle se resauve… »
Tous les chefs de culture ont le souci de ne pas faire de vagues, ni risquer de perdre une place assez enviable.
Ils sont en opposition avec tout le monde, y compris la Kommandantur.
« Le Kreiskommandant Hoffenreich –Vouziers-…qui voulut bien fermer les yeux sur le retour officieux quand il n’était pas clandestin des cultivateurs en infraction rentrant en zone interdite. Ne serait-ce que pour contrer les chapeaux verts de l’Ostland qu’il ne pouvait supporter. » (P. Aubert).
« Chapeaux verts » était le surnom général des chefs de culture , mais il n’est pas connu de tous les témoins .Tous affirment par contre qu’ils avaient des surnoms personnels : le grêlé, le bancal, Prosper , Pain de sucre à Beaumont-en-Argonne, le père Koun à Forest,Casquette à Buzancy ,Gueule de chien à Brévilly…et à Poix-Terron : Henri IV , à cause de son cheval blanc.
E/ Mouvements entre communes.
Pour les besoins du travail , les travailleurs juifs sont déplacés par les chefs de culture .
Certains ont vécu dans plusieurs communes . Il semble que dans le Rethélois ce n’a pas été le cas.
F/ Evolution de l’attitude de la WOL , permissions, certificat médicaux, évasions.
Au début ,il est prévu 8 jours de congé par trimestre .Mais certains ne reviennent pas de permission .
On relève donc dans les documents divers signalements de personnes n’ayant pas rejoint leur poste de travail. Exemple :
Shulze-Berge, Kreisleiter de Sedan , dans un rapport du 23 Février 1942, déclare :
« Neuf Juifs ont quitté d’eux-mêmes leur poste de travail. Les noms de ces Juifs devenus des fuyards ont été communiqués à l’U.G.I.F. et celle-ci a été priée d’agir pour leur retour. Ils ont toujours entre leurs mains des laisser-passer délivrés par le Kreislandwirt de Sedan. »
Les permissions sont supprimées. Les tentatives se multiplient alors pour obtenir des certificats médicaux d’inaptitude.
Ce n’est pas forcément une bonne stratégie, car le retour officiel à Paris signifie dans ce cas la déportation. Ceci nous évoque immédiatement la phrase murmurée en cachette aux nouveaux arrivants à Auschwitz, par les déportés qui les approchaient, et qu’ils ne comprenaient pas : « sei gesund » en yiddish : soit en bonne santé ….sinon , en effet , ils étaient sélectionnés pour la chambre à gaz au moindre signe de faiblesse.
Les occupants durcissent leur position .
On trouve dans le même rapport établi par Shulze-Berge:
« Le médecin juif qui est dans la présente organisation a constaté que près de 50 °/o des Juifs ont des problèmes cardiaques . Il est clair qu’une grande partie de ces malades ne sont que des simulateurs et des paresseux. Actuellement , il y a encore 6 Juifs à l’hôpital local avec tous les défauts possibles . Je vous prie d’autoriser un examen de l’ensemble des Juifs par un médecin militaire. » Il envoie ce rapport directement au M.B.H. à Paris .
Il est frappant aussi de découvrir des consignes concernant la vie matérielle, les paillasses, les ustensiles de cuisine, le loyer et le chauffage gratuits … dont la lecture laisse croire à un souci de bienveillance envers les travailleurs , alors qu’on sait ce qu’il en est réellement.
Le 8 Novembre 1941, Shulze-Berge annonce à tous les responsables de Bezikslandwirte sous son autorité l’arrivée de 60 Juifs (ceux du premier transport, répartis entre Maison Blanche ,Bulson, Chagny, Blanchampagne ,Tétaigne). Ne disposant que de 40 matelas, il précise que ceci est de la responsabilité des Bezirk concernés ,qui ont deux jours pour trouver le reste :
C'était une mission difficile dans des villages pillés totalement .
Nous avons vu la pauvreté de l’inventaire de cuisine du camp de Blanche Maison.
Malgré cela , deux mois après , dans son rapport du 23 Février 1942, Shulze-Berge déclare :
« De notre part tout a été mis en œuvre en ce qui concerne le logement
et l’approvisionnement des Juifs , afin qu’on ne puisse nous faire aucun reproche.
Malgré tout , arrivent journellement dans notre service des demandes et des réclamations en vue d’améliorations , à la manière typiquement juive, demandes qui ne peuvent être satisfaites . »
Le 4 Août 1942 , il fait état dans une lettre au M.B.H. de la nervosité grandissante dans les camps (de Juifs) en raison des arrestations à Paris (rafles du Vel d’Hiv des 16 et 17 Juillet) et signale 3 évasions.
Gilbert Michlin cite une lettre d’Elie Binstejn , travailleur forcé à Bulson, lequel écrit à l’U.G.IF.le 29 Sept 1942, rempli d’angoisse comme on peut l’imaginer , pour demander des explications sur l’internement et le départ (en réalité c’est la déportation) des enfants et des familles des travailleurs juifs des Ardennes.
On lit dans plusieurs fiches individuelles de renseignements : « épouse (ou époux) et enfants déportés », fait déclaré par l'intéressé.
Un témoin survivant rencontré à Puilly le 18 Janvier 2004 a confirmé : « On avait appris par des gens de Bulson qu’ils arrêtaient les familles à Paris. »
Les positions des occupants se durcissent.
On trouve en date du 1er Décembre 1942 une lettre émanant du S.D. Il s’agit du Aussenkommando de Charleville (établi rue de Tivoli) relevant de la SicherheitsPolizei de Saint-Quentin . Elle est signée de l’Obersturmführer S.S. Röder , et comporte en en-tête la mention : « aucune référence » , comme à chaque fois .
« Les demandes de licenciement des Juifs sont par principe , non acceptées.
Vous êtes priés de nous indiquer les Juifs qui ne sont plus aptes au travail.
Par principe , les Juifs ne peuvent pas obtenir de congé. »
Ce qui peut se traduire par la formule connue : « Marche ou crève , et en silence !».
Le chef de la W.O.L. III à Mézières répond le jour-même . Il précise en objet qu’il s’agit des départs sans raison des Juifs de leur lieu de travail :
« La W.O.L. III vous informe que les instructions contenues dans votre lettre (réf) ont été transmises aux responsables concernés . »
On n’en doute pas un instant , ni du fait qu’elles ont été appliquées très durement, quand on écoute les témoins :
« Les travailleurs juifs étaient plus durement traités que les autres : frappés , contraints de travailler même mourants. Un jour , un Juif était mort dans un champ, vers Maisoncelle, d’une congestion pulmonaire .Ses copains ont jeté son béret dans un arbre où il est resté longtemps. » (R. Pingard , à Bulson)
On note heureusement des exceptions, assez nombreuses , par exemple à Forest , (Mme Tarradou) : les Juifs étaient traités comme les autres prisonniers ,ce qui est confirmé par Mme Dereims, pour Remaucourt : « le chef de culture n’était pas trop méchant »
G/ Rendement , bilan économique .
Là encore ,tous les avis des différents auteurs sont unanimes pour le qualifier de fiasco.
Malgré des moyens surdimensionnés en main-d’œuvre, tracteurs , matériel (et notamment les fameuses machines à labourer que vous l'on peut voir dans un film d'époque au musée « Guerre et paix » à Novion-Porcien, et sur le site de l'I.N.A..) , engrais , semences etc..la W.O.L. n’a que de piètres résultats. Les cultivateurs français ,sur les rares parcelles qu’ils sont libres de cultiver, font mieux sans moyens. Ceci est dû à la méconnaissance du terroir par les occupants et surtout à l’attitude négative de leur main-d’œuvre.
La W.O.L. laisse des dégâts considérables : arrachage des bornes , des arbres fruitiers, des clôtures, des abreuvoirs , des éoliennes…, culture des chemins d’exploitation , labourage des meilleures pâtures , appauvrissement des sols par mauvais usage des engrais ,sans parler du cheptel et des bâtiments.
Quand on apprend que la W.O.L. dépensait 1200 F pour produire un quintal de blé dont le prix était de 350 F sur le marché , on comprend que ses buts étaient autres que la production agricole.
Nous avons trouvé quelques rares exceptions, comme à Champigneul-sur-Vence. Mme Cavart et sa soeur, compagnes de Rosette Gruzworcel à la WOL , témoignent que des tonnes de choux ,pommes de terre , carottes , betteraves sucrières (un silo de 200m de long ! Où elles entassaient les betteraves sans relâche des jours d'hiver entiers,sous la pluie ) etc...sont parties régulièrement en Allemagne.
H/ Justification : la germanisation.
Nous avons vu plus haut que les Français luttent âprement pour tenter d’endiguer l’emprise de la W.O.L. sur les terres .Cette lutte se règle au plus haut niveau : Hitler lui-même interdit formellement toute restitution de terres ,quelle qu’elle soit.
On lit dans un rapport datable de Juin 1942 , émanant des autorités françaises, peut-être pour le SLAG –il n’est pas signé- destiné à proposer aux occupants des « mesures provisoires d’amélioration » : « Si la W.O.L. n’est pas… une organisation poursuivant un autre but que l’exploitation rationnelle et intensive des terres des Ardennes…elle ne peut se refuser à accepter ce principe (NDLR :de la restitution des terres ). » .
C'est une manière prudente de désapprouver officiellement d’autres visées , qui sont résumées en langage populaire par la crainte de « devenir boche ».
René Rémond , dans la préface de l’ouvrage de Pierre Aubert , nous dit à propos de la colonisation agricole des Ardennes : « Ce fut une des préoccupations constantes de l’administration préfectorale de tenir ces projets en échec. »
D’après H. Amouroux, le Dr Michel, chef de la section économique du MBH, parle de reconstitution de l’ancienne Lotharingie, sous forme d’un état appelé THIOIS, dont une frontière coïncidait avec la ligne de démarcation de la zone interdite .
Il est vrai que depuis 1870 , les Allemands n’ont pas épargné les manifestations de justification historique de l'annexion , mais concernant surtout l'Alsace-Moselle.
Or , en 1940, l'évacuation totale du département des Ardennes a été ordonnée et organisée par les autorités françaises , ce qui permet à l'Allemagne de le déclarer comme « prise de guerre ».C'est l'occasion , peut-être imprévue , de penser à l'annexion d'anciens territoires de Charlemagne , afin de reconstituer une partie de la Grande Allemagne médièvale .
Il est vrai que pour le secteur géographique qui nous concerne , les évocations ne manquent pas : fiefs mouvants (aux frontières de France), marches (de frontière), seigneurs germaniques des terres souveraines et Principauté de Sedan , villages ambedeux , (du latin ambo et vieux français ambes :littéralement relevant des deux :de la France et de l’Empire, tels , en ce qui nous concerne , Tétaigne et Vaux-les-Mouzon ….)
Médiéval , féodal, servage… sont des termes employés par ceux qui ont subi la W.O.L.
Dans cette perspective , on peut comprendre pourquoi les occupants ont pu transporter et mettre au travail forcé ,à titre expérimental , sous contrôle de la Police nazie, dans ce qu’ils nomment eux-même des JUDENLAGER , terme souvent retrouvé dans les Archives, des groupes de Juifs dans les Ardennes , territoire alors assimilé à une possession , et sous l’autorité d’un service , l’Ostland, dont la contestation était taboue jusqu’à Berlin :
en effet,le 1er Décembre 1941 ,Goering refuse de présenter à Hitler un mémorandum sur l’Ostland, et en février 1942 Von Ribbentrop refuse toute concession concernant l’Ostland.
( P. Aubert)
A propos de la police , précisons qu’il s ‘agit , de la SIPO S.D., police politique de sûreté nazie et son service de sécurité : le 28 Janvier 1941, c'est son responsable Helmut KNOCHEN qui a demandé à l’administration militaire la création en zone occupée de camps d’internement pour Juifs étrangers en s’appuyant sur la loi de Vichy du 4 Octobre 1940 et sur l’existence massive de pareils camps en zone non occupée. Rappelons que certains de ces camps de la zone libre ont été créés par le gouvernement français dès Janvier 1939 ,suite à la loi de Novembre 1938 concernant « les indésirables étrangers » . L’internement est étendu aux Français « individus dangereux pour la défense nationale » en Novembre 1939.
Les internés sont des étrangers , des communistes , des Francs-Maçons , des Juifs étrangers , des Tsiganes , devenus après le 17 Juin 1940 réservoir de main-d’œuvre pour l ‘organisation TODT.
Signalons que « l’utilisation » des Juifs dans les Ardennes a eu lieu aussi dans le Judenlager des MAZURES, près de Revin. Il s'agissait de Juifs anversois , ouvriers diamantaires,qui produisaient du charbon de bois . A l'inverse des « Lager » de la WOL , le camp des Mazures , clôturé et gardé , était constitué de baraques construites par les déportés eux-mêmes.
En zone interdite, a existé aussi , à 90 km de Sedan, le camp de THIL , où l’on a même ramené des Juifs d’Auschwitz , pour assurer la construction et le fonctionnement d’une usine souterraine qui produisait des éléments de V1.
Le CAMP DE THIL (un Kommando de Natzwiller-Struthof) fut le seul camp d'extermination par le travail situé sur le sol français en territoire non annexé par les nazis , où a existé et fonctionné un four crématoirer .On peut penser que celui-ci était destiné à l’anexion, et que le statut de zone interdite n’aurait fait que précéder celui de zone annexée.
Revenons à la W.O.L. des Ardennes :dans son rapport du 23 Février 1942, après seulement trois mois d’ « expérience », Schulze-Berge , Kreislandwirt de Sedan déclare :
« Sur la possibilité d’utilisation (des Juifs) on peut se poser de plus en plus de questions. (…)De plus , on remarque ces derniers temps qu’une partie des Juifs n’a pas encore compris la raison de sa présence .Ils ne sont pas aptes même pour les travaux les plus simples , et en outre ils croient pouvoir rester ici uniquement pour avoir un meilleur traitement. (…..)
Cette expérience est ratée et on ne pourra jamais compter sur une main-d’œuvre utilisable pour notre but : je prie poliment d’arrêter tout nouveau transport car un Juif ne sera jamais utilisable pour les travaux agricoles . »
La question reste : pourquoi cette « expérience », ainsi nommée par les occupants eux-mêmes, a-t-elle eu lieu uniquement dans ce département ?
I/ La rafle des 4 et 6 Janvier 1944.
On trouve aux archives départementales ,émanant de la Sicherheitspolizei S.D., Kommando de Charleville, signé par l’ObersturmFürher S.S. Röder, l’ordre de mettre à sa disposition 24 gendarmes, 12 pour le jour , 12 pour la nuit, pour le transfert des Juifs .Un fonctionnaire a noté sur le document en date du 4 Janvier : « j’ai téléphoné à la gendarmerie qui a été avisée directement par les Allemands » !…Suit l’ordre de réquisition du Préfet aux gendarmes « au nom du peuple français , sur injonction des autorités d’occupation », toujours en date du 4 Janvier.
Cet ordre de la S.D. est précisé,comme à l'habitude : sans référence. On voit là que l’ « expérience » est restée du début à la fin soumise au bon vouloir et au contrôle exclusif de la Police politique .
On trouve en date du 8 Janvier 1942 , une lettre de la Feldkommandantur de Charleville ordonnant au préfet d’adresser sans retard un état des Juifs résidant dans les Ardennes .Une précision est éloquente : « Les Juifs travaillant provisoirement à la W.O.L. ne doivent pas y figurer. »
On retrouve mention indirecte de la rafle dans nombre de « listes nominatives de « travailleurs étrangers de confession israélite » établies par les maires début Janvier 1944 qui portent l'annotation « emmenés par les Allemands » ou « enlevés par les autorités d’occupation » ou « emmenés pour une destination inconnue le 4 Janvier 1944 ».
Exemple à Nouart: « enlevés par les autorités allemandes le 4 janvier pour une destination inconnue. »
Notons que l'emploi du terme « de confession Israélite » au lieu de « Juif » , dans le formulaire préfectoral était une forme de résistance administrative . Elle peut sembler dérisoire dans les faits , mais psychologiquement elle était importante car elle récusait la notion de « race » juive .
Des enfants figurent dans les listes communales d’Israélites alors qu’ils sont partis , mis à l’abri par leur mère : c’est le cas de Georges et Marie Winograd , enfants à Puilly. « J’avais 12 ans , Marie 7 ans. Ma mère nous a conduits en cachette à la gare de Carignan et nous a mis dans le train avec pour tout bagage plusieurs adresses d’amis à Paris.»
On se demande comment ils ont fait, ils ne s’en souviennent pas ; sans doute n’étaient-ils pas seuls dans ce train , leur mère avait peut-être demandé à un voyageur de les faire passer pour ses enfants?
Comment expliquer qu’ils figurent encore dans la liste communale de Janvier 1944 si ce n’est pour les protéger ? Les mêmes listes ayant été établies en Janvier 1943 , il y avait le risque qu’une comparaison révèle leur disparition.
Citons à nouveau Mr Abelanski : « Quelqu’un à Puilly m’a dit : -votre frère (Joseph Terrasfeld) était au courant de la rafle. Il s’est échappé avec un autre garçon et , pris de remords , il est remonté dans le camion. Je sais aussi que mon frère avait une fiancée dont j’ignore tout.
Moi , j’ai échappé car je ne suis pas venu ici. Mes deux frères et moi , on était cachés dans la Sarthe de 42 à 44. On avait été placé par une assistante sociale de l’U.G.I.F. , mais qui devait militer en infiltrant ce réseau. »
Plusieurs personnes n’ont rien tenté pour s’échapper :
Mme Tarradou dit : «Le jour de la rafle ma mère est redescendue du camion , pour aller poser mes papiers dans une ferme , et elle est remontée ! C ‘est vous dire si elle était perdue , elle n'avait plus le courage de lutter …Du jour où mon père a été déporté, elle était perdue , il était instruit , il parlait sept langues, alors qu’elle était illettrée. Ma tante était à Rethel ce jour-là , elle a vu les camions , on lui a dit que c’était un convoi de Juifs, elle a été voir , elle cherchait son beau-frère et elle est partie avec ! »
A Bulson , « le jour de la rafle , le maître d’école , Mr Habran , nous a fait sortir à 4h , plus tôt
que d’habitude. On a vu les camions , remplis de soldats allemands armés jusqu’aux dents, ils ont entouré le pays. Le maître a dit :Rentrez chez vous ! les petits pleuraient. Les Juifs ont été rassemblés dans une maison, voie de Chémery .Raymonde Nathanson était en vacances à La Besace ce jour-là , elle y a échappé. » (R.Pingard)
Raymonde fait partie des enfants sauvés , cachés jusqu'à la Libération .
Mme Dereims : « Les Allemands sont venus avec des fusils , ils ont ouvert les maisons chez nous , ils ont été voir au grenier , s’il y en avait des cachés.
Il y en a qui ont couché avec les vaches (il s’agit des Juifs ) . Il y avait une vache qui vêlait : ils avaient peur . Ils ont repris le train après . »
Mme Hastir : « Il y a deux femmes qui étaient restées . Elles ont repris le train après . C’est même moi qui leur ai renvoyé leurs affaires dans une valise , dans la voiture du chef de culture ! Heureusement il ne le savait pas . c’est parce qu’il avait un chauffeur français . »
Il est établi que la rafle a eu lieu en deux temps : le 4 Janvier 1944 , puis le 6 janvier 1944.
Communes raflées le 4 janvier 1944:
Toutes celles du Rethélois : Rethel , Son , Fraillicourt , Seraincourt , Remaucourt, Ecly , Barby , Hauteville .
Autres : Champigneul-sur-Vence , Chagny , Poix-Terron , Beaumont-en-Argonne ,Yoncq Nouart , Briquenay , Buzancy , Les Petites-Armoises , Mouzon ,Vaux-les-Mouzon ,Euilly-Lombut, Blagny, Les Deux-Villes, Sachy , Sailly , Margny, Francheval , Frénois ,Wadelincourt.
Trois communes sont raflées en partie :on emmène les hommes à Puilly et Herbeuval , les hommes et quelques femmes à Bulson.
Communes raflées le 6 janvier 1944:
On emmène les femmes et les enfants restés à Bulson , Herbeuval et Puilly.
Autres : Chalandry , Singly , Brévilly , Tétaigne .
On ne trouve aucune explication logique à cette rafle en deux temps .Elle a permis certains sauvetages : une personne ayant échappé à la rafle à Frénois a eu le temps de se rendre à Tétaigne pour prévenir toute sa famille et les autres personnes présentes .
Les personnes prévenues n'ont pas toujours accepté de fuir : soit par lassitude et épuisement moral , soit pour ne pas se séparer de leurs parents .
L'enregistrement des entrées à Drancy , venant de Charleville , se fait les 5 et 7 Janvier .Il n'y a pas eu de transit dans un lieu clos (prison , caserne, camp, stade ...), si ce n'est une attente à la gare de Charleville.
Deux frères , évadés sans se concerter en gare de Charleville, ont la surprise de se retrouver à l'appartement familial à Paris , où ils arrivent l'un après l'autre à moins d'une heure d'intervalle !
D'autres communes ont été « visitées » , mais personne n'y a été pris :
Dans la commune de Saint-Marceau , constatant que nous ne retrouvions aucune des personnes présentes dans les convois , nous avons eu l'explication suivante par
Mr Serge René , de Champigneul-sur-Vence :
« A Saint-Marceau , ils avaient prévu que ça pouvait tourner mal alors ils avaient tout organisé à l'avance avec les cheminots résistants de la gare de Charleville. Ils ont été prévenu de la rafle et ils sont partis avant , en train . »
On lit dans le Calendrier de S. Klarsfeld : entrées à Drancy , le 5 Janvier 1944 , 205 personnes venant de Charleville, « retour des ouvriers agricoles des Ardennes partis en 1942 » , 41 personnes le 7 Janvier et 4 personnes de Charleville le 15 Janvier , sans précision.
On sait que ces trains emportaient aussi des Juifs du Camp des Mazures et des Juifs ardennais , ce qui explique la différence dans les nombres .
Les recoupements ont permis d'établir que :
1 personne de la WOL internée à Pithiviers venant de Frénois en Août 42 ,convoi 25.
1 personne de la WOL arrêtée à Frénois ,convoi 53.
1 personne de la WOL entrée à Drancy le 24/11/43 ,convoi 66.
219 personnes de la WOL ont été raflées dans les Ardennes les 4 et 6 janvier 1944 puis déportées dans le convoi 66 .
4 personnes de la WOL arrêtées en Janvier 44 à Tétaigne et Euilly-Lombut , convois 67 et 68 1 personne de la WOL en Février 44 à Balaives , convoi 69
2 personnes de la WOL arrêtées en Mars 44 à Bulson et Poix-Terron , convoi 73.
On doit ajouter :
5 personnes arrêtées dans les villages (motif ignoré) et déportées dans le convoi 47:
Mr Bertrand , témoin à Boutancourt , nous avait mis sur la voie : « Tous les hommes ont été arrêtés bien avant la rafle , il ne restait que les femmes et les enfants ... »
On retrouve en effet , dans la liste originale du convoi 47 , composé de « 1000 Juifs apatrides ou appartenant à des nationalités déportables » (S.Klarsfeld)
-Nadeltwager Maurice , «ouvrier agricole, Boutoncourt par Flige »
-Goldfarb Baruch dit Bernard , « ouvrier agricole Boutancourt par Flise. »
-Erder Chaïm, « ouvier agricole Francheval. »
-Nathanson Naftule « ouvrier agricole Wadelincourt . »
-Marcuse Hans « Vaux-les-Mourzon »
Tous les cinq appartiennent à la sous-liste « Drancy 2 » (deux autres travailleurs de Boutancourt et de Francheval se trouvent dans le même convoi , mais nous n'avons pas la preuve de leur probable arrestation sur place .)
Un témoin , Juif compagnon de travail de Hans Marcuse, a assisté à son arrestation à Tétaigne: « Quand on l'a pris , il nous a crié : - Ils vous auront tous , on vous emmènera comme moi , sauvez-vous ! ils prendront tout le monde...»
TOTAL : 234 travailleurs agricoles Juifs déportés suite à une arrestation ou une rafle dans les Ardennes .
Par ailleurs , 93 autres travailleurs agricoles sont déportés en 1942 et 1943 , dans 41 convois différents , après arrestation dans un autre lieu :les archives montrent les plaintes allemandes au sujet des « Juifs ayant quitté le travail sans autorisation ».
L'arrestation a lieu aussi lors d'une permission à Paris, comme dans le cas de Pauline Fragman .Anecdote : Son nom est cité dans le film « Mr KLEIN » , au moment de l'arrivée au vélodrome lors de l'appel des noms au micro .
On retrouve les personnes déportées par 2 ou 3 dans ces convois , sauf dans le convoi 7, du 19 Juillet 1942 , le premier qui part après la rafle du Vel d'Hiv:,avec 11 travailleurs de la WOL.
Les premiers sont déportés de Compiègne à Auschwitz dans le convoi n° 2 du 5 Juin 1942. Il s’agit de :
-Motel ROZENWEIG , né le 5 /6/1906 à Luligow en Pologne , tailleur à Paris 3ème , recensé à la WOL à Tétaigne le 18 /1/1942 , et décédé à Auschwitz le 27 Juin 1942.
-Clordka FALKOWICZ ,né le 10/10/1892 à Lukow en Pologne,cordonnier à Paris 3è,recensé à La WOL à Sailly-Blanchampagne le 17/1/42.
Le dernier est déporté dans le convoi 78 du 11 Août 1944 ,parti de Lyon:
On retrouve 3 personnes fusillées :
Frédérik Goldenberg, né le 22 janvier 1925 à Anvers, Turc, apprenti tourneur , venant de Paris , 4 , rue de la Tour d’Auvergne, recensé au lager de Flize le 16 Janvier 1942, dans une
liste d’évadés envoyée à l’UGIF le 6 Mars 1942, fusillé ou abattu sommairement dans les Vosges le 6 Février 1944. ( Mémorial de Serge Klarsfeld)
Robert PAL , né le 12 Novembre 1889 à BAJA en Roumanie , Hongrois ,pharmacien ,7 ,rue du président Louis-Philippe à Paris, recensé à la WOL à Remaucourt le 1/1/43 et le 1/1/44 , s’est échappé lors de la rafle du 4/1/44 , arrêté par la Feldgendarmerie à Doumely-Begny le 6 Juillet 1944 .
(motif : « nationalité juive »), emprisonné à Rethel , transféré à la prison de Charleville le 8 Juillet 1944 , fusillé comme otage à Tournes , au bois de la Rosière , le 29 Août 1944.