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13 mars 2010 6 13 /03 /mars /2010 09:02
Qui était Marie JELEN ? Sa lettre, expédiée du Veld’Hiv en Juillet 1942, adressée à « M. JELEN, Frénois, Ardennes », publiée dans Paris-Match (n°2533, mars 2010), et lue par Marie Drucker au cours de l’émission du 9 mars consacrée à la sortie du film La rafle, a intrigué nombre d’Ardennais.

marie lettre 1
Cette lettre est la première des sept qu’elle enverra à son papa, les six autres étant envoyées depuis le camp de Pithiviers (on peut les consulter ici).

mariejelen
Elle ne parvient pas à masquer sa détresse, au milieu des 4000 enfants restés seuls à Pithiviers après la déportation des mères, dont Estera la maman de Marie, dans des conditions inimaginables : comme l’a dit Joseph Weisman, dont l’histoire a inspiré le scénario de La rafle, le film est très en-deçà de la réalité, sinon il aurait été insoutenable.
Annette Krajcer, fille du responsable du groupe des Juifs de la WOL à Bulson, relate cet épisode, avec d’autres survivants et témoins dans Sans oublier les enfants d'Eric Conan (Le livre de poche, 2006). Au milieu des immondices et des rats, dans la désorganisation totale - Annette, 12 ans, est nommée chef de baraque et doit s’occuper des plus petits - les enfants, à peine nourris, tombent rapidement malades, en plein mois d’août, dans les baraques du camp : ils sont notamment victimes de diarrhées et restent sans soin. Certains deviennent muets, et restent prostrés.

On ignore comment Marie a pu faire sortir ses lettres de Pithiviers. On remarque que les Postes fonctionnent très bien, en pleine occupation, malgré l’existence des zones : les Ardennes sont en zone interdite : les travailleurs juifs de la WOL ont échangé une importante correspondance avec la capitale, conservée aujourd’hui au Mémorial de la Shoah. Les lettres les plus poignantes concernent précisément les demandes de nouvelles des enfants, parfois un an après leur déportation ! On avait promis aux travailleurs des Ardennes la protection des personnes et des biens.

Icek Jelen, de Frénois finit par partir à la recherche de sa fille, en 1943 : c’est ainsi qu’il échappera à la rafle des Ardennes. Il était petit et doux, avait les yeux bleus, mais un accent yiddish prononcé : il n’a jamais dit comment il avait fait pour rejoindre la Dordogne, où il a travaillé, sans se cacher, jusqu’à la libération. De retour à Paris, il comprend que ni Estera, son épouse, ni Marie ne reviendront. Il se remarie et a un fils : à la mort de son père, celui-ci découvrira les lettres de Marie dans son portefeuille et décidera de les mettre en ligne … Jusqu’à la fin de ses jours, Icek gardera son manteau et son chapeau, même à table, de peur que les Allemands n’arrivent à la porte pour une nouvelle rafle. Né à Lask en Pologne,il était ouvrier tailleur, habitait avec sa famille rue de Meaux dans le 19e arrondissement de Paris. Marie, née en cette ville, allait à l’école primaire rue Alphonse Carrel… Voici la plaque apposée dans le hall de l’école : ces plaques, posées dans les écoles ou les jardins de Paris, sont réalisées par l’AMEJD (Association pour la mémoire des enfants juifs déportés). Portant les noms des morts en déportation, elles sont le seul lieu où les familles peuvent venir se recueillir, en l’absence de sépulture et si loin des cendres dispersées sur le sol des camps ou des corps jetés dans les fosses communes.

plaque école rue A Carrel
Marie Jelen a été déportée par le convoi n° 35, parti de Pithiviers le 21 septembre 1942. Elle a été gazée à Auschwitz le 23 septembre, à quelques jours de son onzième anniversaire (elle était née le 20 octobre 1931). Son sort fut celui de 11 400 enfants de France, âgés de moins de dix-huit ans, parmi lesquels 43 sont partis de Charleville pour Auschwitz, via Drancy.
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27 mai 2006 6 27 /05 /mai /2006 11:57

La page ne pouvant supporter toutes les informations, nous avons été dans l'obligation de les répertorier dans un fichier qu'il vous faut télécharger en cliquant ici sur télécharger.



 
TÉLÉCHARGER LE FICHIER* W.O.L.


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Note Importante
Il vous faudra le logiciel ACROBAT READER pour pouvoir lire ce fichier. Pour le télécharger, voici les liens ;
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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00
Le travail suivant est l’aboutissement de trois ans de recherches effectuées bénévolement au nom du groupe des Ardennes des Amis de la Fondation pour la Mémoire de la Déportation.

Nous lançons un appel aux lecteurs afin qu’ils veuillent bien nous signaler les erreurs, assurément involontaires, mais aussi nous apporter leur témoignage. Nous sommes à leur disposition pour guider leurs recherches dans le département.

La recherche dans les archives communales n'est pas terminée : il sera donc procédé à des mises à jour de la base.

Nous remercions chaleureusement pour leur aide :
- Pierre COULON de la Société des écrivains ardennais.
- Serge KLARSFELD. Association des Fils et Filles de Déportés Juifs de France.

Ainsi que tous les témoins, les familles déjà retrouvées à ce jour, et le personnel des Archives Départementales des Ardennes, sous la direction de Odile JURBERT.


Le 15 Novembre 2005,
Jacques LEVY et Christine DOLLARD-LEPLOMB
Contact e-mail : afmd08@wanadoo.fr


-
Jacques LEVY

2, bis Bd Gambetta
08000 Charleville-Mézières
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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00

Les Juifs étrangers de la région parisienne déplacés dans les Ardennes, comme travailleurs agricoles .
11 Novembre 1941 - 6 Janvier 1944.


Recherches effectuées par Jacques LEVY et Christine DOLLARD-LEPLOMB pour AFMD 08


1/Introduction

2/La WOL

A/Nom , signification .p.2

B/Origine , l’Ostland, autorité de tutelle.p.2

C/Les zones d’occupation .p.3

D/Organisation dans les Ardennes p.4


3/Evènements à l’origine de la recherche de main-d’œuvre.

A/ Evacuation ,exode 1940.p.4

B/ Création des zones, réglementation de la zone interdite.p.5

C/ Densité de population.p.5

D/ Organisation de l’emprise sur les terres.p. 6

E/Erreur d’emprise sur les terres dans le secteur de Carignan.p.7


4/La main-d’œuvre .

A/ catégories de travailleurs, de 1940 à 1944.p.8

B/les travailleurs juifs.p.8

  • Origine géographique, professions.

  • Nationalités

  • Mesures anti-juives, retrait de nationalité.

  • Recrutement , rôle de l’UGIF.

5/la vie des travailleurs juifs (11 Nov.1941 – 4 Janv. 1944)

A/Transports (dates).p.15

B/Répartition dans les Ardennes, chiffres et liste des communes.p.16

C/Conditions matérielles ,logement , nourriture, circulation ,scolarisation.p.17

D/Le chef de culture.p.21

E/Mouvements entre communes.p;21

F/Evolution de l’attitude de la WOL , permissions, certificat médicaux, évasions.

G/Rendement , bilan économique .p;23

H/Justification : la germanisation. p.24

I/La rafle des 4 et 6 Janvier 1944.p.25

J/Le rôle des ardennais , les survivants.p.9


6/Lexique ,bibliographie p.32

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00
60 ans après la libération , il reste à étudier des épisodes inconnus concernant la déportation.

De nombreux historiens et spécialistes se sont montrés surpris en découvrant le sujet de notre recherche , surpris d’apprendre que des Juifs étrangers , parisiens d'adoption , avaient été amenés dans les Ardennes pour y travailler la terre avant d’être déportés dans les camps d’extermination.

Or , nos visites dans les villages nous ont amenés à constater que les témoins ardennais survivants en ont gardé des souvenirs nostalgiques émus et très précis.

Il nous est arrivé , par contre , de nous heurter à la méfiance des services des archives municipales. Pourquoi ?

Peut-être parce que les mots «occupation » , « juif » ,  «déportation » font peur , font craindre la découverte de responsabilités diverses . Or , ni les municipalités , ni les villageois n’ont été responsables de ces évènements. Au contraire , les rares Ardennais présents à cette époque se sont courageusement manifestés en aidant ou en sauvant les travailleurs Juifs , avec lesquels ils avaient souvent sympathisé.

Aujourd'hui en 2005, les témoins s'expriment plus volontiers , pour deux raisons :
-la médiatisation de la commémoration de la libération des camps encourage la prise de parole.
-certains témoins déclarent vouloir parler avant de mourir.

Pourtant , aujourd'hui , quelques-uns pensent encore qu'il pourrait être inopportun , car dangereux pour eux, d'avouer qu'ils ont sauvé des Juifs .

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00
A/ Nom , signification .
W.O.L.  signifie Wirtschaftsoberleitung. ou Direction des services d’exploitation. Il s’agit d’exploitation agricole , car la W.O.L. est une filiale de l’OSTLAND.


B/ Origine , l’OSTLAND , autorité de tutelle.
OSTLAND signifie Ostdeutsche Landbewirtschaftung-gesellschaft ou Société agricole d’Allemagne Orientale. Elle a été créée par le «ministre du Reich pour le Ravitaillement et l’Agriculture» et a pour mission d’exploiter les plus belles terres dans les pays occupés, et notamment au début, en Pologne.

Il s’agit d’une S.AR.L. , une entreprise privée : on retrouve là le principe de fourniture de main-d’œuvre de déportés à des entreprises privées , connu dans les camps.

L’OSTLAND est nommée LANDBEWIRTSCHAFTUNG ou service de culture , en Juin 1941 , puis REICHSLAND en 1942.

En France , l’OSTLAND installe son service central à Paris .

Puis cinq filiales s’établissent à Albert (Somme) ,Laon (Aisne) , Mézières (Ardennes) , Nancy (Meurthe-et-Moselle) et Dijon (Côte-d’Or). En fait , ces filiales exercent leur emprise sur tous les départements ou parties de département de la zone interdite et de la zone annexée .

Celle qui nous intéresse est la W.O.L. III. qui contrôle les Ardennes

On lit dans un rapport non signé,(cabinet du Préfet) datable approximativement de fin 1942, intitulé « Note sur la société d’exploitation agricole allemande (W.O.L.) » : « Une ordonnance allemande du 20 Mai 1941 sur la gestion des entreprises privées de leurs dirigeants, régularisa cette organisation en créant un service pour l’exploitation des entreprises agricoles, spécialement compétent pour la zone interdite : le rôle de ce service fut déterminé par une décision du commandant militaire allemand en France du 5 Mars 1941 .

Son action se trouve exercée sur place par l’intermédiaire de la Wirtschaftsoberleitung (W.O.L.) dont les cadres ont été fournis par l’OSTLAND.

Depuis le 6 Mai 1941 ,la W.O.L. relève d’une section pour l’exploitation d’entreprises agricoles créée auprès du groupe Ravitaillement et Agriculture au

MILITÄRBEFEHLSHABER. (commandement militaire , ou MBH)

Le MBH se subdivise en 4 Bezirk (régions) et autant de Feldkommandantur que de départements .

Le MBH comprenait 3 sections : centrale (police),administrative et économique(Dr Michel) dans laquelle fonctionnent 10 groupes. Le groupe III « Ravitaillement et agriculture » est dirigé par le Dr Reinhardt (représentant direct de Himmler). Il comprend les services « production » , « réglementation du marché » , et «culture » ,ce dernier service étant dirigé par le Dr Wermke .Le service culture est en fait l’Ostland. 

Cette précision est importante dans la mesure où , par la suite, on perçoit , au niveau départemental, des luttes d’influence entre les autorités de la W.O.L. et l’administration française , notamment préfectorale , mais aussi entre les autorités de la W.O.L. et les autorités d’occupation : la W.O.L. se prévaut de relever directement du ministère du ravitaillement du Reich , à Berlin , et du commandement militaire : MBH ou Militärbefehlshaber in Frankreich, installé à l’hôtel Majestic à Paris - pour contester l’autorité de la Feldkommandantur sur ses services .

Le chef du MBH est Otto von Stülpnagel , remplacé en Mars 1942 par son cousin , Karl-Heinrich von Stülpnagel, qui sera pendu en 1944 pour complot contre Hitler.


C/ Les zones d’occupation.
Le 23 Juillet 1940 (date officielle de parution du texte , car , sur le terrain , la ligne de démarcation de la zone interdite est fermée le 1er Juillet), la France est divisée en plusieurs zones d’occupation .Les deux plus étendues et les plus connues sont la zone occupée et la zone non-occupée, dite « zone libre » , au sud de la Loire. Une partie de celle-ci, à l’Est , est zone d’occupation italienne.

Toute la zone côtière , à l’Ouest, est interdite et très surveillée, en raison de l’établissement du mur de l’Atlantique, contre un débarquement allié prévisible et pour lutter contre les activités clandestines des pêcheurs.

Sur la frontière Nord-Est , l’Alsace-Lorraine (Alsace et Moselle) est purement et simplement annexée : l’allemand y redevient la langue d’enseignement.

Les départements du Nord et du Pas-de-Calais forment la zone réservée interdite , dont l’administration est directement rattachée à Bruxelles.

La zone interdite du Nord, celle qui nous intéresse est ainsi décrite par Pierre Aubert :

« (Son…) tracé du Nord au Sud passait grosso modo par le cours de la Somme, le canal de Saint-Quentin , Chauny , Sainte-Ménehould , Saint-Dizier , le cours de la Marne , la Saône , le canal de la Saône au Rhône. Pour être plus précis , les départements concernés étaient :

-la Somme (moitié du département au Nord du fleuve, Amiens coupé en deux) ;

-l’Aisne (moitié Nord du département, dont le chef-lieu Laon) ;

-les Ardennes (dont le chef-lieu Mézières et tout le département sauf quelques cantons agricoles au sud de l’Aisne pour les arrondissements de Vouziers et Rethel) ;

-la Meuse avec Bar-le-Duc ;

la Meurthe-et-Moselle avec Nancy ;

-la Haute-Marne avec Chaumont (moitié est du département coupé en deux suivant le cours de la Marne) ;

-la Haute-Saône avec Vesoul ;

-le territoire de Belfort  avec Belfort ;

-le Doubs avec Besançon.

..pour être encore plus précis , seules quatre petites communes de la Côte d’Or sont en zone interdite. 

Cas particulier : le département du Jura découpé en trois zones …..ses cantons à l’est , limitrophes de la Haute-Saône et du Doubs sont en zone interdite ; l’arrondissement de Saint-Claude est presque intégralement en zone interdite. »

Il est nécessaire de bien se représenter cette zone interdite , assez méconnue, car c’est celle de la colonisation agricole de la W.O.L. et nous verrons plus loin quelles étaient , outre la nécessité du ravitaillement , les raisons moins avouées de celle-ci.


D/ Organisation dans les Ardennes
Le cas du département est particulier : avec une partie du nord-meusien autour de Stenay , c’est le seul où l’emprise de la W.O.L. est de type « territoires groupés autour d’un centre dit point d’appui, ou Stutspunkt ». Ailleurs , il s’agit d’exploitations isolées.

La note du commandant militaire allemand en France du 5 Mars 1941 précise que les Wirtschaftsoberleiter(directeur) et Kreisleiter (chef d’arrondissement) exercent leur activité en tant qu’experts d’agriculture et conseillers ruraux. Ils sont , à ce titre , responsables de l’exécution des directives édictées par le commandement militaire allemand en France dans le domaine technique agricole.

En 1943 , la W.O.L. des Ardennes comprend :
-1 Wirtschaftoberleiter à Charleville-Mézières, (château Belair)
-4 Kreislandwirte : Charleville, Sedan , Vouziers , Rethel.
-27 Bezirkslandwirte  (contrôlant la surface d'un canton)
-199 Betriebsleiter ou chefs de culture (par commune ou groupe de communes ).

Au total 231 dirigeants auxquels s’ajoute un nombreux personnel d’adjoints, et du personnel technique réparti en une section financière , une section machine , une section production disposant d’interprètes , de secrétaires et de sténo-dactylos.

S’ajoute à cela un service transport qui comprend des mécaniciens et chauffeurs conduisant de puissants camions modernes de 5 à 10 tonnes , des voitures automobiles de tourisme et des motocyclettes . Les chefs de culture disposaient d’une voiture automobile ou d’une moto et d’un cheval de selle, et souvent d’un cabriolet hippomobile.

On trouve , dans un rapport de 1943 : 468 membres pour le personnel allemand à la W.O.L. des Ardennes.

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00
A/ Evacuation ,exode 1940.
Une Instruction Générale du ministère de l’Intérieur fixe, dès le 18 juin 1935, en cas de guerre , la liste des départements de départ et des départements d’accueil. Pour les Ardennes , on lit en remarque, comme pour tous les autres départements frontaliers : «  évacué en totalité ».

Deux départements d’accueil sont prévus : la Vendée et les Deux-Sèvres.

Rappelons que suite à la déclaration de guerre à l’Allemagne par la France , le 2 Septembre 1939 , rien ne se passe jusqu’au 10 Mai 1940. Durant 8 mois , c’est « la drôle de guerre » , l’attente interminable, pour la population et les troupes cantonnées dans la zone frontalière, d’évènements à la fois inconnus et redoutés .

Le premier ordre d’évacuation concernant la vallée de la Meuse est donné pour le 11 Mai 1940 à l’aube .Le département se vide en 4 jours , essentiellement les 12 et 13 Mai.

Les habitants ne voulaient à aucun prix revivre une occupation comme en 14-18 (voir plus loin : conditions matérielles).

Ce fait est très important : les Allemands vont considérer le département comme prise de guerre en arguant du fait qu’il a été entièrement évacué sur ordre des autorités FRANCAISES.

Les combats continuent ,dans le département , de la Meuse à L’Aisne, jusqu’au 11 Juin .Les nouvelles et les moyens de locomotion sont lents : très peu de personnes reviennent avant la fermeture de la ligne de démarcation de la zone interdite , le 1er Juillet 1940. Avant de revenir , il leur faut connaître la situation de leurs biens , l’état des destructions , les possibilités de subsistance. Paradoxalement , les ouvriers passés en fraude se présentent en Mairie et reçoivent des bons d’alimentation : les Allemands ont besoin d’eux pour faire tourner les usines .

Ce n’est pas le cas des agriculteurs qui sont refoulés pour travailler à la moisson dans les communes limitrophes de la ligne en attendant …sa réouverture : celle-ci n’interviendra que le 20 Mai 1943. Les sauf-conduits ne seront délivrés qu’à partir de Mars 1941 , ce qui correspond à la date officielle de confirmation du rôle de la W.O.L.

Les cultivateurs ayant réussi à passer en fraude, puis repris ,sont mis en rétention dans les « camps » de Tagnon et de Maison-Rouge, en attendant d’être autorisés à devenir salariés à la W.O.L.

Pierre Coulon témoigne : 

« Mes grands-parents et leurs trois enfants ne sont restés qu'une quinzaine de jours au camp de Tagnon parce que mon grand-père, qui avait été naturalisé français dans les années 30, était toujours en possession de ses papiers d'identité belges et il les a produits pour sortir du camp. Les Belges étaient autorisés à passer la frontière de la zone interdite. Mon père m'a raconté que certains réfugiés étaient logés dans des bâtiments, mais la plupart des gens vivaient sous la tente. Il m'a dit qu'il y avait la dysenterie et qu'il mourait des gens tous les jours, des chevaux aussi , mais les Allemands leur jouaient de la musique classique. »


B/ Création des zones, réglementation de la zone interdite.
Les zones sont créées officiellement le 23 Juillet 1940 et les lignes de démarcation réglementées par des instructions des autorités allemandes du 1er Août 1940.

Dans la zone interdite , « zone Nord B et Est , le retour des réfugiés de toutes catégories est actuellement suspendu par les autorités allemandes. Seuls sont autorisés à passer la ligne de démarcation Nord-Est , les Luxembourgeois , les Belges , les Hollandais et les Neutres. ».

Les motifs officiellement invoqués sont : l’ ampleur des destructions matérielles et les récoltes perdues ne permettent pas un retour de la population .

A noter que dans les autres zones , au contraire ,la priorité au retour est donnée aux cultivateurs , qui reçoivent d’ailleurs , ainsi que tous les personnels des professions para-agricoles, l’ordre de rejoindre leur lieu de travail .

Dans les Ardennes ,des postes de garde de la ligne de démarcation sont établis au long de l’Aisne , et le franchissement autorisé se fait uniquement à Rethel.


C/ Densité de population.
Dans ces conditions , il n’est pas surprenant d’apprendre que plusieurs mois après la fin des combats , les villages ardennais sont encore fortement dépeuplés .

A Bulson , Robert Pingard , agriculteur retraité , témoigne :  « Quand on est rentré d’évacuation , on était la seule famille originaire du village et ça a duré assez longtemps.Tous les autres étaient des ouvriers étrangers ou des prisonniers de guerre . A l’école , on était 4 : mon frère , ma sœur , puis moi et le fils d’un prisonnier de guerre français. »

Effectivement , ceux-ci arrivèrent, parfois avec leurs familles au printemps 1941.

Ceci est confirmé par Mr et Mme Tarradou , de Forest : «Ici , les prisonniers libres , des Français , étaient dans les maisons avec leurs familles. »

Dans son ouvrage « Un village des Ardennes , Puilly-Charbeaux » , Gustave Gobert dit :  « au 1er Janvier 1941, 26 habitants sur 430 sont présents , les premiers étant rentrés en fraude fin Août 1940. »

A Charleville et Mézières , 1200 habitants sur 52 000 sont rentrés le 6 Juillet 1940.

Début 1941 , ils sont 4000 à Sedan, sur 20 000.

En Septembre 1941, 18 000 Ardennais sur 290 000 sont rentrés.


D/ Organisation de l’emprise sur les terres.
Il faut donc attendre le printemps 1941 pour voir un début de réorganisation de la vie rurale et agricole. La situation est catastrophique , les terres et les villages à l’abandon, les semences manquantes, les perspectives de la « campagne » 1941 bien sombres .Les cultivateurs, présents en faible nombre,sont à cran et les autorités aussi. D’autant plus que fin 1940 , un projet allemand de création d’un vaste terrain de manœuvres , en fait un champ de tir pour l’aviation de bombardement, voit le jour au grand dam de l’ensemble des habitants présents , car il prévoyait l’évacuation de 116 communes (101 en totalité + 15 en partie) sur 130 000 ha entre Sedan et Vouziers, c'est-à dire les meilleures terres agricoles de l'époque !

Marcel Cartier , industriel et maire d’Angecourt ,effectuant de nombreuses démarches contre ce projet, nous dit : «… nous étions paradoxalement aidés par le « Führer » de l’industrie ardennaise à la Feldkommandantur de Charleville… » .

Quand il dit « nous » , il parle entre autres du courageux préfet Edmond Pascal , qui ne tardera pas à être limogé dès le 29 Juin 1941 -officiellement appelé à d’autres fonctions- en raison de ses prises de position face à l’occupant .

Lors de son départ , Jules Courtehoux , député de Vouziers, lui écrit le 3 juillet 1941 :

« Vous aimiez les Ardennais . Vous l’avez prouvé hautement , quand , avec grand courage , avec dignité , fermeté et un dévouement absolu , vous consacriez toutes les ressources de votre intelligence , de votre culture , de votre cœur (…..) à défendre avec nous et au-dessus de nous auprès des autorités (…) la juste cause de nos internés de Tagnon et Maison-Rouge,(….) celle des 103 communes menacées d’évacuation totale , celle enfin de nos cultivateurs, (….)évacués par ordre , empêchés de rentrer chez eux , momentanément dépossédés de leurs biens et de leur matériel par ce qu’il est convenu d’appeler la W.O.L…. » (Terres ardennaises n° 69-Déc 1999)

Finalement , le projet du champ de tir est rapporté le 13 Janvier 1941: heureusement , sinon , on aurait créé un immense no-man's land , comparable à la zone rouge autour de Verdun ,totalement inhabitable.

C’est dans ce contexte que la W.O.L. commence son emprise sur les terres.

Elle autorise , dans les premiers mois , les cultivateurs français à reprendre leur exploitation.

Puis les cultivateurs rentrés après le 21 Janvier 1941 ne sont pas autorisés à reprendre leurs exploitations et ne sont admis qu'à y travailler comme salariés, au même titre souvent que leur ancien commis , ce qui ne va pas sans frottements . Ceux qui avaient bénéficié de la mesure précédente ne conservent le droit de jouissance que sur la « part de leurs exploitations qu’ils ont pu remettre en culture ».Le reste est réquisitionné.

Ces droits sont recensés dans un état de prise en charge dit Bestallung. Les Bestallungen ont été établis dans les régions de Rethel et Vouziers de Février à Avril 1941.


E/Erreur d’emprise sur les terres dans le secteur de Carignan.

Dans la région de Sedan , la W.O.L. , au lieu d’exempter d’occupation les fermes des cultivateurs rentrés en 1940, a , par erreur , pris en charge leurs exploitations d’où une source de contestations et d’incidents .

La W.O.L. a pris , en particulier dans tout le secteur de Carignan, les terrains qu’elle jugeait être les plus intéressants à exploiter , et a dressé un grand nombre de Protokolle , c’est-à-dire des procès-verbaux par lesquels elle déclare : après négociations entre le chef de culture et le maire , les exploitations sur lesquelles les cultivateurs français ont pu reprendre leur activité ont été nettement déterminées et que le chef de culture prend en charge l’étendue totale de la commune à l’exception de ces exploitations.

Ces Protokolle sont rédigés sur des formulaires uniformément datés du 30 Décembre 1940, et ne sont pas contresignés par les autorités militaires allemandes (Kommandantur) , ce qui génère des conflits incessants.

L’emprise de la W.O.L. couvre une superficie très importante : 160 000 ha sur les 260 000 disponibles dans les communes concernées . A cela s’ajoute le fait que le chef de culture fait pression sur les cultivateurs autorisés à reprendre leur exploitation pour les obliger à échanger leurs meilleures terres contre des friches : cette pratique s’est développée après que l’ambassadeur Abetz ait accordé à Pétain l’arrêt des emprises, le 17 Juin 1941, et elle contournait l’accord en pratiquant une extension en qualité plutôt qu’en surface .

Exemple : à Villy-la -Ferté, se trouve le plus occidental des fortins terminant la ligne Maginot, théâtre de combats dramatiques en 1940 . Là , comme dans toutes les communes avoisinantes possédant des ouvrages bétonnés , .La WOL prend les bonnes terres et attribue aux agriculteurs les terrains autour des blocs de béton , en pente , et couverts de barbelés ,de fossés anti-chars et de systèmes de défense ...( témoignage de Mr Claude Gaillard , maire de Vaux-les-Mouzon ).

En réalité , la W.O.L. contrôle tout : c’est bien l’avis unanime des témoins encore présents aujourd’hui.

Elle a un souci majeur : « les moyens de travail » et notamment la main-d’œuvre, dont la recherche va s’intensifier , car outre les mesures empêchant le retour en nombre de la population , la qualité des travailleurs est très médiocre : pour la majorité d'entre eux , ils ne connaissent rien à la culture et ne mettent aucune ardeur à satisfaire les Allemands . Certains sabotent le travail : A Beaumont-en-Argonne , un témoin dit : « On « racudait » , exprès . » (labourer dans un seul sens ). Les archives départementales conservent les documents recensant les innombrables incendies volontaires contre la WOL.

Les Allemands sont sans cesse sollicités par l’administration préfectorale , soucieuse

d’ obtenir que les terres ne soient pas laissées en friche , motif officiellement évoqué pour demander la restitution des terres et lutter contre la colonisation.

Pour comprendre l’emprise économique et surtout morale de la W.O.L. , il faut lire Pierre Aubert. «  Le problème était si grave que Vichy créa un organisme OFFICIEUX anti-Ostland , le SLAG (Service de Liaison Agricole de Guerre), renseigné par les préfets et sous-préfets, fonctionnant illégalement en doublon avec l’administration de l’agriculture , pour être plus discret. »

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00
A/ Catégories de travailleurs, de 1940 à 1944.
La W.O.L. emploie
    • 3000 à 4000 travailleurs étrangers , hommes et femmes , belges , luxembourgeois , polonais, tchèques.

    • 3500 Prisonniers de guerre en congé de captivité, vivant librement dans les villages , communément surnommés « prisonniers libres »…(nous avons vu qu’ils avaient parfois leur famille).

    • 4000 prisonniers Nord-Africains, sur les 4500 que compte le Frontstalag 204 des Ardennes.

On trouve à leur sujet aux A.D. un document stupéfiant(12 R 99 100) :

Le 16/9/1941, une instruction est donnée à la W.O.L. et aux différents Lager et Stalag afin que soit respectée la liberté religieuse des musulmans .Après un rappel des prescriptions religieuses rituelles , ordre est donnée de réduire la durée du travail à 6h par jour durant tout le Ramadan et de donner congé les jours de fête du Baïram.

    • 5000 civils français, en majorité cultivateurs dépossédés de leurs terres .


Par ailleurs , sur les 20 000 Polonais qui arrivent au printemps 1943 ,déportés de Pologne pour être répartis dans divers départements et remplacer les Nord-Africains ,un train entier (3500) entre en gare de Sedan, après un voyage de plusieurs jours sans nourriture , ni aide. Les témoins de leur arrivée en gardent une vision d’épouvante . Mr René Posta, agriculteur retraité , fils de cultivateur à Malmy : « On a été les chercher au train à Sedan , les Polonais , parce qu’on avait des chevaux , nous. Moi j’ai vu les wagons s’ouvrir !…Oh , là, là … (Silence ) Y avait ça de fumier dedans ,(70 cm) ils étaient maigres ,sales , ils crevaient de faim ,et y avait des gosses ! ils étaient peut-être depuis 8 jours là-dedans . On leur a donné du lait , aux gosses , après , mais un tout petit peu , tout doucement , pour ne pas qu’ils soient malades. »

Un second groupe de 7000 , dont 5300 femmes et enfants , arrive en Août 1943.

Ces déportés ne font pas l’objet de la présente étude pour deux raisons  , qui ont guidé notre choix :

-l’étendue du sujet : il nécessite une étude à part.

-sa notoriété : si le cas des travailleurs Juifs est ignoré du plus grand nombre, celui des Polonais est connu , et sa mémoire a été réactivée depuis une vingtaine d’années par les arrivées régulières dans les mairies ardennaises de demandes d’attestation de présence , aux fins d’établir les droits au dédommagement (retraite et déportation).


B/ Les travailleurs juifs.

Ils ne sont « que » 339 dans un recensement d’Octobre 1943. En réalité , 683 personnes au total (connues à ce jour ) , avec les femmes et les enfants, ont été concernées .Il s’agit de Juifs étrangers de Paris et de banlieue , immigrés de l’Europe de l’Est en France ,depuis la fin du 19ème siècle , suite à différents évènements : pogroms ,bouleversements de frontières suite à la guerre de 14, puis montée du nazisme.

On remarque des naissances en France essentiellement à partir de 1920, en plus grand nombre après 1930.

Notre exposé ne va présenter que quelques exemples des innombrables faits les concernant.
Notre but initial était la création du fichier-il ne sera jamais exhaustif- comportant notamment les renseignements que les familles réclament toujours : lieux d’affectation, mouvements entre communes, dates , renseignements divers lorsqu’ils existent : quelques mots paraissant dérisoires mais qui sont des informations capitales pour ces familles .Nombre d’entre elles ignorent absolument tout de cet épisode ardennais de la vie de leurs ancêtres disparus, tant cette « expérience »   est inconnue du plus grand nombre , y compris , répétons-le, des chercheurs et historiens locaux.

Il nous est vite apparu qu’un éclairage du cadre historique de ces faits uniques en France était indispensable. Nous avons tenté de rester concis. Il convient , pour approfondissement , de se reporter à la bibliographie et notamment , concernant la W.O.L. et l’Ostland , à Jacques Mièvre et Pierre Aubert.


  • Origine géographique, professions.

Ils sont tous originaires des arrondissements populaires de Paris , notamment le 20ème ,le 11ème le 4ème et de la banlieue Nord et Est. Nous avons pu relever les professions :

-Habillement : tailleur, tricoteur, tondeur (de drap), couturière, finisseuse (de costumes) ,ravaudeur, découpeuse, coupeur (de costumes ou de casquettes), chapelier , modiste ,brocanteur d’habits , culottier militaire ,casquettier, teinturier , mécanicien (sur machines à coudre), colleur d'imperméables, repasseur , ramasseur de chutes de laine .

-Cuir : cordonnier, bottier , maroquinier , mécanicien de maroquinerie , piqueur de tige (de botte), gantier ,coupeur (de chaussures , de gants ) tanneur , fourreur ,sellier,malletier.

-Autres : commerçant , vendeuse , représentant , boucher , épicier, crémier ,boulanger , coiffeur, livreur , garçon de magasin, garçon de café ,fille de salle , bonne à tout faire , ménagère , saute-ruisseau (garçon de courses) ,marchand ambulant , colporteur ,emballeur ,manutentionnaire, imprimeur , brocheur, brosseur , vernisseur , menuisier ,tourneur sur bois ,colleur , tapissier , peintre , électricien, maçon ,terrassier , plombier , forgeron , métallurgiste , grillageur ,soudeur , tourneur sur métaux , polisseur , tôlier , ingénieur ,manoeuvre chez Renault , mécanicien auto , chauffeur poids lourds , cantinière , bonne , cuisinier, chauffeur ,dessinateur, cantatrice , artiste , danseur , sténotypiste , dentiste , pharmacien , avocat ;comptable, radio , étudiant, cadre de jeunesse.

Trois médecins exercent  : le Dr Biezynski (Chémery ,19-1-42 et Remaucourt 1-1-43), Dr Pisam Octave (Frénois 1/1/43 et 1/1/44) Dr Rennert Bernard (Frénois , insignes, non daté et Archives Communales.).

Une assitante sociale :Lotte Besas ,à Frénois ,dentiste de profession.

Les cantinières sont recrutées pour l’organisation par groupes dans les Ardennes .

La majorité des personnes travaille dans l'habillement et le cuir. La profession la plus représentée est celle de tailleur.

Il semble que dans le Rethélois , les personnes juives sont d’origine sociale homogène : dentiste , pharmacien , médecin , avocat , cantatrice…La plupart sont des Hongrois .

Mme Dereims (Remaucourt) dit :  « Les Juifs , c’étaient des gens de la haute classe. Il y avait beaucoup de docteurs ,de dentistes … Il y avait Mme Rona , elle chantait de l’opéra , elle avait une belle voix, elle aimait les oiseaux et elle parlait bien , elle disait : il y a des serins dans la nature ! »

Marcel Croizon , mécanicien à la Wol à Remaucourt : « On voyait bien la condition de ces gens-là, ils n’étaient pas faits pour travailler comme ouvriers , c’étaient des gens de très bonne éducation. Et puis se retrouver comme ça à ramasser des pommes de terre ! Les chevilles ensanglantées , vous savez quand on passe dans les champs de blé coupé... ah , là , là … »


  • Nationalités.

Ils sont en majorité Polonais, ce qui génère souvent la confusion avec les déportés polonais de 1943.

Polonais : 271
Aucune mention de nationalité : 195
Français : 45 dont 43 enfants .
Hongrois : 38
Apatride 1, et de nationalité dite indéterminée :32
Roumains:34
Russes : 28 ,dont 1 citoyen soviétique
Autrichiens :8
Allemands : 6 Sarrois : 2
Tchécoslovaques : 8
Turcs : 5
Algériens : 3
Grecs ,Hellène: 3
Marocain: 1
Bulgare : 1
Espagnol : 1
Lithuanien :1
Letton : 1

TOTAL : 17 nationalités

Ceux qui sont déclarés français sont des enfants nés après 1920 , devenus français par déclaration : on note que dans les listes ils sont souvent déclarés français suivi d’un point d’interrogation.


  • Mesures anti-juives, retrait de nationalité.

Les fonctionnaires , en effet , ne savent plus très bien si ces personnes sont françaises . Il faut rappeler brièvement les mesures anti-juives qui les ont placés dans une situation administrative et économique insoutenable.

Après l’ordre allemand de recensement des Juifs du 27 septembre 1940,c’est la loi de Vichy du 3 Octobre 1940 , leur interdisant tout exercice des fonctions publiques. Divers décrets et ordonnances font passer de la notion de religion à celle de RACE , terme inscrit dans les lois, telle l’ordonnance du 26 Avril 1941 :  «Est considérée comme juive toute personne qui a au moins trois grands-parents de pure race juive. Est considérée « ipso jure » comme de « pure race juive un grand-parent ayant appartenu à la communauté religieuse juive. »

Viennent ensuite de nouvelles interdictions professionnelles , la création du Commissariat Général aux Questions juives , la nomination des administrateurs des biens juifs saisis, des interdictions multiples,outre celle de travailler (fréquenter les marchés , les Postes et Téléphones , les piscines , les musées , les théâtres , les squares …etc , posséder une T.S.F. etc…)

Une mesure intéresse plus particulièrement les personnes concernées par notre étude , à propos de la nationalité , puisque des différences de traitement existent , au début de l’occupation , entre Juifs français et Juifs étrangers, compris dans les « étrangers en surnombre dans l’économie nationale ».

On pouvait être français par naissance , par naturalisation ou par déclaration . Cette dernière concerne les enfants d’étrangers nés en France. C’est le cas de Mme Tarradou, seule survivante résidant aujourd’hui dans le département :  « Mon père a fait une demande pour moi , j’ai été naturalisée à l’âge de trois mois ».

Ce sont les retraits de nationalité sous Vichy qui expliquent que l’on trouve dans les archives les mentions « nationalité indéterminée », signifiant apatride, pour des adultes, et « Française, suivi d’un point d’interrogation » , pour des mineurs .

Il ne s’agit là que d’un faible aperçu des mesures anti-juives , que l’on peut retrouver dans « Le Calendrier de la persécution des Juifs en France » de S. Klarsfeld.

Citons au sujet de la nationalité le témoignage de Mr Abelanski , rencontré à Puilly le 18 Janvier 2004 .Ce jour-là ,lors d’une cérémonie importante , en présence de nombreuses autorités, une plaque portant les noms des travailleurs Juifs raflés à Puilly le 4/1/1944 était inaugurée.

« Sur la plaque, Esther et Sonia Abelanski sont mes sœurs et Rachel , ma mère , née Eisenberg. Quatre Eisenberg suivent :David , mon oncle ,Golda , ma tante, Rachel et

Monique , mes cousines. Puis Terrasfeld Joseph , on l’appelait Georges , est mon frère, en réalité mon demi-frère , qui nous a élevés , son père est mort en 14.

Il était Anglais jusqu’en 41. Il s’est engagé dans la légion pour devenir Français. Donc , ça lui a valu la déportation , quand ils ont déporté à la fin les naturalisés, parce que sinon , ils ne déportaient pas les Anglais … »

Notons que Joseph Terrasfeld est déclaré... Polonais dans la liste nominative des travailleurs israélites à Puilly le 1er janvier 1943 .

D’autres cas de nationalités successives différentes mentionnées pour la même personnes sont relevés.

Les Juifs étrangers sont nombreux à Paris .Leurs demandes de naturalisation sont rejetées , avec par exemple le motif  :  « Aucun intérêt au point de vue national ». Ceci est le titre d’un livre publié par Gilbert Michlin , fils de Moïse Michlin , travailleur forcé à Bulson de Mars 1942 au 4 Janvier 1944.( Albin Michel 2004).

Mme Tarradou , dont la mère était au Radois dit : «  Mon père a fait une demande de naturalisation dans les années 30, elle a été rejetée. »

La première rafle de Juifs étrangers a lieu le 14 mai 1941 : 3710 hommes ,parmi lesquels 3430 Polonais ,157 Tchèques et 123 Apatrides , internés à Pithiviers et Beaune-la-Rolande .


  • Recrutement , rôle de l’UGIF.

L'idée d'embaucher les Juifs étrangers dans l'agriculture vient de Jacques Helbronner, président du Consistoire Central ,qui , le 21 Avril 1941, propose à Xavier Vallat que « Vu la déficience de la main-d'oeuvre agricole en France , les étrangers israélites actuellement au chômage ou internés dans les camps soient utilisés au maximum de leur capacité. »

Son idée est de leur permettre d'échapper à la misère à laquelle les condamne les ordonnances anti-juives .Il pense aussi contrer le reproche fait aux Juifs :« être incapables de travailler la terre » en allant dans le sens de la politique pétainiste du retour à la terre.

Le chef du service des affaires juives de la Gestapo , Dannecker, réclame alors 6000 travailleurs pour l'Ostland en août 1941 : On atteindra au final guère plus de 10 % de ce nombre.


Le 29 Novembre 1941, « Art. 1er.Il est institué , auprès du Commissariat Général aux Questions Juives , une Union Générale des Israélites de France. Cette union a pour objet d’assurer la représentation des Juifs auprès des pouvoirs publics , notamment pour les questions d’assistance , de prévoyance , et de reclassement social . Elle remplit les tâches qui lui sont confiées dans ce domaine par le gouvernement. »

L'UGIF regroupe par force toutes les organisations juives dissoutes .

On lit dans « Le Calendrier » de Serge Klarsfeld , un extrait du journal de Raymond-Raoul Lambert, dirigeant de l’U.G.I.F. qui périra à Auschwitz avec sa femme et ses 4 enfants :

« Xavier Vallat m’a téléphoné dimanche chez moi . Le décret qui crée une Union Générale des Israélites de France, groupement racial distinct du Consistoire , doit paraître aujourd’hui. Je sais les noms des 9 du conseil pour la zone libre , dont je suis ,j’ai réussi à obtenir que les noms ne paraissent pas encore à l’Officiel et je revois Vallat vendredi à Vichy. Le choix est bon puisque ce sont les dirigeants d’Oeuvres les plus qualifiés . Mais le décret est terrible . On l’a accompagné à la radio de commentaires faits pour nous mortifier .Pourrons-nous accepter d’être les exécutants du pouvoir ? Pourrons-nous refuser , avec toutes les conséquences personnelles que cela pourra comporter pour nous ? Il y a un cas de conscience .Quelle que soit l’issue de la guerre , la fonction de secrétaire général que tous m’attribuent déjà sera lourde , très lourde…Je répondrai à l’appel selon ma conscience. Mais je crois que nous ne pouvons accepter de représenter les Juifs de France pour autre chose que pour les questions sociales et philanthropiques, que nous ne pouvons ,nous-même, taxer nos coreligionnaires , que nous ne pourrons disposer nous-même des fonds saisis chez les nôtres et que dans tous les cas , notre travail technique ne doit pas signifier que nous acceptons le principe des lois d’exception. »

Ce passage contient toute la problématique du rôle de l’U.G.I.F., avant même sa mise en place , rôle qui a fait l’objet de nombreuses controverses et polémiques.

Tenons-nous en aux faits concernant les travailleurs agricoles .

En Octobre 1941, un mois avant la création de l’U.G.I.F., le journal « Informations Juives » publie l’appel suivant émanant du comité de coordination des œuvres de bienfaisance juives :

« Juifs sans travail de 18 à 45 ans ! On vous offre de travailler dans l’agriculture dans les conditions suivantes :
-dans les fermes aux environs de Sedan ;
-salaire minimum de trente francs par jour ,équivalent aux salaires de la région ;
-bonne nourriture contre-remboursement de 14 F par jour ;
-cuisine , lessivage , raccommodage assuré par des femmes ;
-service médical par des médecins accompagnant les travailleurs ;
-les familles de ceux qui partiront seront particulièrement suivies et assistées par le Comité de coordination ;
-ce travail vous assure une vie tranquille.

Hâtez-vous de vous inscrire pour le prochain départ et engagez-vous nombreux… »

Un mois plus tard l’U.G.I.F. est créé , regroupant les Œuvres , et hérite du projet .

Bien que misérables car frappés de nombreuses interdictions , dont celle d’exercer leurs métiers ,et d'obligations de contôle dangereuses (arrestations) les Juifs étrangers , les plus nombreux dans la capitale, ne s’engagent pas dans l’agriculture.


L’U.G.I.F. pratique alors la relance, y compris à domicile, pour obtenir un nombre suffisant d’engagements. Ceux-ci se font à son siège , rue de Téhéran. On engage des personnes âgées, des infirmes,–on trouve une aveugle dans les listes- et des femmes avec enfants.


Nous tenons à préciser que notre but n'est ni d'écrire l'histoire de l'UGIF , ni de la juger , car nous n'avons exploré qu'une infime partie des archives qui la concerne.

D'autre part ,si les sources ci-après démontrent quel homme a été Léon Eskenasy , et le rôle qu'il a tenu activement , avec un zèle constant , aucun document ne nous autorise à le confondre avec l'organisation toute entière .


Léon Eskenasy est Juif , maîtrisant bien le français , malgré une orthographe incomplète , l’allemand. et le yiddish.

. Il est coiffeur de métier. Dans les Ardennes ,il ne travaille pas la terre Il fait partie du premier transport de travailleurs juifs envoyés par l'UGIF. Il a été embauché comme interprète, mais s’engage immédiatement dans un rôle beaucoup plus actif,se déclarant « chef des ouvriers agricoles Juifs de la WOL Sedan » comme l’attestent les nombreux documents des archives .

Il arrive donc avec le premier groupe , le 11 novembre 1941 et il est affecté à Tétaigne. Le 24 Novembre 1941, il écrit (en allemand) au Kreisleiter de Sedan ,Schulze-Berge, la lettre suivante :

« Très honoré Kreisleiter , suite à une information transmise par Herr Selser , chef de culture à Tétaigne, pour une décision concernant Mme X... , je vous transmets ce qui suit : dans l’intérêt de la communauté et pour la tranquillité et la paix du voisinage , je me sens obligé d’éloigner cette femme d’ici. Comme la sus-nommée est à mon avis inutilisable pour un autre travail , cette solution est la meilleure . Au cas où , très honoré Kreisleiter , vous décideriez différemment , je n’y verrais pas d’objection. Je vous remercie en mon nom et en celui de mes collaborateurs . Mes respects ! Ci-joint un extrait du livret de salaire pour le temps de travail que la femme a effectué. »

Parmi une importante correspondance, dans les archives du Kreislandwirt de Sedan , on trouve plusieurs lettres , en allemand , dans lesquelles L. Eskenasy propose au Kreisleiter de rémunérer les ouvriers Juifs en fonction de leur rendement .

« Wir bitten um normaliesierung der Löhne. »

Il y joint des listes nominatives qu'il a établies par Lager ( Blanche Maison , Vaux-les-Mouzon, Blanchampagne,Tétaigne).

Exemple:
« Gruppe Blanche Maison (I)
Gute Arbeiter 45 F (suit 1 nom) 40 F (suivent 7 noms)
Mittlere Arbeiter 35 F (4 noms)
Restliche Arbeiter 30 F (3 noms)
Rottenführer (chef de groupe) 45F (mais pour celui de Blanchampagne , il propose 50 F)
Doktor : 150 F
Obmann : 120 F  (au lieu des 60F prévus)
L.Eskenasy,Obmann , est affecté à Frénois , village limitophe de Sedan., le 20 Février 1942.




D'autres courriers sont conservés aux Archives Départementales ,permettant de saisir l'activité de Léon Eskenasy :

Lettre du « 24 septembre 1942 .U.G.I.F. 19, rue de Téhéran , Paris 8ème

Monsieur le Préfet des Ardennes,(…) j’ai l’honneur de vous accuser réception de la liste nominative des Juifs résidant dans votre département , telle qu’elle vous a été demandée par le Commissariat Général aux Questions Juives . Avec mes remerciements… » (non signé)

Cette lettre fait suite à celle du Commissariat Général aux Questions Juives du 27 Août 1942 qui demande au Préfet « en vue de procéder à la répartition , entre tous les israélites redevables , de l’amende d’un milliard imposée le 14 décembre 1941 (…) d’aider dans sa mission l’U.G.IF. en lui adressant directement (…) un relevé in extenso des fichiers de recensement de tous les Juifs de votre département .J’attacherais du prix à obtenir très rapidement les renseignements demandés …(non signé) »

Il semble que la lenteur administrative ait été une des tactiques préfectorales de résistance , car on trouve souvent ce genre de rappel à l'ordre , concernant le manque de célérité à répondre .

Malgré cela , la préfecture tient à ignorer les offres de service de Léon Eskenasy , dont voici un exemple , concernant la même question:

« Frénois , le 11 VIII 1942. Monsieur le préfet des Ardennes , j’ai l’honneur de vous anoncer que j’ai fait tout mon possible, pour vous envoyer les renseignements demandés par vous. Nous avons eu dernierement 4 convois pour lesquelles je suis obligé fair fair des fiches de renseignement. J’attand une autre quantité des imprimés de Paris. Aussitôt que j’aurai les fiches ensemble , je vous les enverrais immédiatement. Veuillez agréer… signé Léon Eskenasy»

La Préfecture retourne la lettre avec cette mention notée au bas  : « Transmis à Mr le maire de Frénois en le priant de bien vouloir faire savoir à quel service de la Préfecture la lettre ci-dessus est destinée. Mézières le 13 Août 1942. »

C'est un exemple caractéristique de la résistance administrative, que l'on trouve dans divers documents , notamment un courrier retourné par un maire qui a annoté en rouge :  « je ne comprends pas l’allemand. »

Evoquons au passage Mr de Foville, sous-préfet de Sedan, dont Jacques Rousseau ,résistant ,dit : « les gens étaient patriotes , je recrutais .Je lui ai demandé d’aider la résistance , au péril de sa vie, ce qu’il a fait . »

Léon Eskenasy écrit le 8 Juin 1942. « Mr le Prefect de Police des Ardennes !

Etant comme chef des ouvriers agricoles juifs de la Region de Sedan , j’ai reçu l’ordre des autorités allemandes de fair le necessaire pour leurs fournire les insignes (etoile jaune) qu’ils doivens porter à partir du 7 Juin 1942, les Juifs de zone occupée. Je m’adresse à vous Monsieur le Prefect en vous priends de bien vouloir m’envoyer les dits insignes pour 125 travailleurs . Veuillez … »

Suivent deux tampons :
-L.J. Eskenasy Obmann der Jüd. Landarbeiter des W.O.L. III bei Kreislandwirt Sedan sitz Frénois.
-L.J. Eskenasy Obmann adjoint aux Ouvriers Agricoles Juifs de la W.O.L. III Sedan siège Frénois.

On retrouve les marques de ces tampons sur de nombreux autres courriers signés Eskenasy

Dans le ressort du Kreislandwirt de Rethel , concerné de façon numériquement moins importante, Léon Eskenasy avait un homologue, Léo Spitzer « Obmann » lui aussi , recensé le 1-1-1943 dans la liste à Seraincourt (Le Radois) dans l'emploi d’interprète. Il était avocat avant-guerre. Léo Spitzer n'a laissé aucune trace d'une activité autre que celle d'interprète. Il a été raflé le 4/1/1944 et a été déporté dans le convoi 66 du 20 Janvier 1944.

A propos de la remise des « insignes » (étoiles jaunes ) on trouve les instructions allemandes de les remettre même à ceux qui ne peuvent ni les payer, ni fournir de points textiles .

C’est pourquoi on trouve les listes de remise des insignes établies par L.Eskenasy, par communes ,avec une colonne « point » où figure très souvent , en face du nom du récipiendaire « non » suivi parfois de sa signature , qui est tout ce qui reste de lui.

Un autre renseignement important concernant l’U.G.I.F. a été fourni par Mme Tarradou , arrivée avec sa mère le 13 Mars 1943. La mère travaille au Radois , la fillette est en nourrice à 2km de là , à Forest , car il n’y a pas d’école au Radois . Une lettre de l’U.G.I.F. signée Toni Stern (responsable du service Ardennes), en réponse à une demande de Mme Jarjembski adressée à Juliette Stern , (directrice du service social), lui précise que le secours mensuel pour les pensions de l’enfant est de 400F au lieu de 500F précédemment.

La somme a été versée régulièrement jusqu'à la rafle , bien que réduite .

Les Juifs étrangers ayant finalement accepté de s’engager à la W.O.L. ne l’ont fait qu’en échange de la garantie donnée par l’U.G.I.F. que leurs familles restées à Paris et leurs appartements seraient protégés, ce qui n’a pas été le cas et n’a fait que précéder la déportation de tous les Juifs sans distinction..

Mr Peltier ,de Poix-Terron résume bien cela en disant :

« C’était maquillé sous le retour à la terre. On leur a dit de signer . Ils ont bien fait de signer : c’était pas collaborer , c’était essayer de sauver sa peau. Mais il les ont fait signer , c’était pour les avoir sous la main . »

Et Mr Mennessier , au Radois : « Comme la machine à détruire n’était pas encore en pleine action , ils travaillaient en attendant . »

Les Juifs étrangers se présentent à l’U.G.I.F. en plus grand nombre à partir de 1942 quand les rafles deviennent la règle et que de meilleures nouvelles,du moins sur ce point , arrivent des familles des Ardennes .C’est la raison pour laquelle certains d’entre eux déposent des demandes de renouvellement de cartes d'identité en mairie , dans les villages des Ardennes, mais elles sont systématiquement rejetées par la Préfecture , qui leur délivre alors seulement un récépissé de demande de carte .

Mais on trouve le cas de 2 personnes qui réussissent à se faire remettre , le 2 novembre 1943 , des cartes d’identité à leur vrai nom, valables jusqu’en Septembre 1944, suite à un dossier déposé le 15 Août 1943.

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00
A/ Transports
Les personnes enrôlées partent par groupes successifs de la gare de l'Est , par train de ligne ordinaire, sans garde : il ne s'agit pas de convois de prisonniers .

11 Novembre 1941 16
28 Novembre 1941
16 Décembre 1941
6 Janvier 1942
16 Janvier 1942
10 Mars 1942
27 Mars 1942
1er Mai 1942

13 Mai 1942

13 Juin 1942

3 Juillet 1942

23 Juillet 1942

31 Juillet 1942

7 Août 1942

25 Août 1942

28 Août 1942

4 Septembre 1942

15 Septembre 1942

6 Octobre 1942

16 Octobre 1942


Il s’agit de la liste des transports officiels. La recherche des personnes montre que nombre d’entre elles arrivent individuellement dans les Ardennes , que ce soit clandestinement ou en situation régulière : il s’agit de rejoindre la famille , en ayant l’impression d’être plus à l’abri qu’à Paris où la traque est quotidienne.

C’est ainsi que plusieurs personnes , notamment des enfants ,ont été retrouvées grâce aux témoins alors qu’elles ne sont recensées nulle part.


B/ Liste des communes concernées .(51)
Autrecourt
Les Ayvelles
Balaives
Barby
Beaumont-en Argonne
Blagny
Boutancourt
Brévilly
Brieulles-sur-Bar
Bulson
Buzancy
Carignan
Chagny
Chalandry
Champigneul-sur-Vence
Chémery-sur-Bar (Blanche-Maison )
Les Deux-Villes
Dom-le-Mesnil
Ecly
Euilly-Lombut
Faux
Flize 17
Fraillicourt (La Folie)
Francheval
Frénois
Hauteville
Herbeuval
Illy
Inaumont
Margny
Mouzon
Nouart
Les Petites Armoises
Poix-Terron
Pouru-Saint-Remy
Puilly-Charbeaux
Remaucourt (Le Radois , Chaumontagne )
Rethel
Sachy
Sailly (ferme de Blanchampagne)
Saint-Marceau
Sedan
Seraincour
Singly (ferme de Thièves )
Son
Sorbon
Tétaigne
Vaux-les Mouzon
Villemontry
Wadelincourt
Yoncq ( la Thibaudine)


C/ Conditions matérielles ,logement , nourriture, circulation ,scolarisation.
Nous devons ici insister pour préciser certaines choses à propos du mot CAMP. On a parlé notamment du camp de Bulson. Le terme - le camp des Juifs - était couramment employé durant la guerre , dans certains villages concernés , non pas pour désigner, comme on l’imagine, un camp fermé , barbelé et gardé par des sentinelles sur des miradors. Il s’agit en réalité du Groupe des Juifs ,catégorie mise à part , et parfois de la maison où ils sont regroupés lorsque c’est possible, comme par exemple le château Habert à Wadelincourt, la ferme de Blanche-Maison , à Chémery-sur-Bar…etc. Mais le plus souvent , ils sont dispersés dans les habitations ordinaires, vidées par l'exode.

Cette erreur est renforcée par le fait que l’on retrouve souvent les termes LAGER (camp) et JUDENLAGER (camp de Juifs) dans les documents des autorités d’occupation.

En dehors des heures de travail , les Juifs ont interdiction de quitter leurs maisons, ou le village, de fréquenter les autres catégories de personnes. En réalité , ils le font ,mais discrètement. Mme Dereims , de Remaucourt , dit : « Il fallait faire attention aux va-et-vient le soir ,il y avait des Allemands partout. »

Daniel Dion , à Tétaigne: « Léon (Israël) , venait chez nous tous les soirs , il passait par derrière , il rentrait par l'écurie.»

Le principal problème est la nourriture , très insuffisante. Tout le monde est rationné mais les Juifs souffrent plus que les autres . Mme Tarradou dit : « On les aidait comme on pouvait , et quand on faisait une volaille (chez sa nourrice, qui deviendra sa belle-mère) on leur gardait la tête , les pattes , tout ce qui pouvait encore se manger.

Mme Dereims de Remaucourt dit : « J’avais une grosse ferme , je leur donnais un peu à manger : des œufs , une soupe au lait… »

Mr Mennessier , au Radois : « une femme est venue chercher du beurre, elle a voulu donner son collier en or .Mon père a dit non , je n’en ai pas , je vous en ferai dans 15 jours , mais vous garderez votre collier .Il lui a fait payer le prix normal . »

Mr Peltier , à Poix-Terron : « Ils doivent reconnaître qu’on les a aidés. Pis alors on volait , hein , parce que c’était un devoir de voler les Boches : ils en profitaient aussi les Juifs, nous on était du pays et on connaissait des sacrées combines . C’était pour manger , l’argent ne comptait pas .Y avait un magasin , avec du blé en vrac , on faisait un trou dans la planche , on faisait couler dans un seau , pis on mettait une cheville. On faisait du pain .Pour moudre , on avait des moulins à farine pour les bêtes , le pain était gris , c’était bon quand même.

Les Juifs ,c’étaient beaucoup des commerçants , surtout dans l’habillement. Ils rendaient des services , pis nous aussi , c’était main dans la main , tant que c’était pour faire des vacheries aux Schleus… »

Il est impératif de faire ici une digression qui éclaire et explique bien l'attitude des Ardennais contre l'occupant : elle concerne la terrible occupation de 1914-18.

Même s'il faut le dire avec beaucoup de précaution , en regard de certains drames , elle fut bien pire , pour les civils,que celle de la seconde guerre . C'est une histoire mal connue du grand public français ,car elle n'a concerné que les zones situées au nord du front .C'était un régime de terreur : disette permanente , réquisitions drastiques , exécutions sommaires , otages , tribunal de guerre, travail forcé, parfois à partir de l'âge de 7 ans etc...

Pour s'en faire une idée , on peut lire, choisi dans la bibliographie , le « Journal de la guerre 1914-1918 » par l'enfant Yves Congar , sedanais devenu cardinal par la suite .

En 1940 , 22 ans après , le souvenir en était encore très vif .

C'est ainsi que Mme Marguerite Mennessier , mère du témoin cité plus haut ,reçut la croix de guerre le 14 juillet 1919 pour avoir ravitaillé des soldats français cachés dans les bois près de sa ferme de la Folie , au nord du front , en zone d'occupation allemande . Les Allemands , en la condamnant à 25 ans de travaux forcés , la qualifièrent de « grande Française ».

On comprend mieux pourquoi « c'était un devoir de voler les Boches » et d'être « main dans la main » avec toutes les victimes des nazis. On comprend mieux pourquoi de si nombreux sauvetages de Juifs ont eu lieu , au péril de la vie des sauveteurs ardennais ,et notamment des sauvetages d'enfants .

Revenons aux conditions de vie .

A Blanche Maison , pour 20 personnes , on trouve , dans un inventaire du 4 Décembre 1941 :
-20 assiettes creuses
-20 tasses à café
-13 fourchettes
-13 cuillers à soupe
-2 couteaux de cuisine
-1 couteau à viande
-1 moulin à café
-1 seau
-1 passoire
-2 casseroles à lait

Outre que le moulin à café ne sert sans doute qu’à broyer un peu de grain volé pour faire du pain, on peut penser que cet équipement est sûrement suffisant pour le peu de nourriture dont disposent ces personnes ….

Le travail de la terre à cette époque est certes physique et pénible , mais il pourrait être tout -à-fait supportable dans des conditions normales d’équipement , de nourriture , de logement et de soins . Or , ces gens n’avaient rien de tout cela .

Ceux qui connaissent un tant soit peu la terre se représenteront aisément les souffrances générées par le travail forcé en toutes saisons, pour des personnes sous-alimentées et en costume de ville, sans parler des coups , brimades et violences permanentes dans certains
cas .

Schulze-Berge lui-même (Kreisleiter de Sedan ) déclare , dans son rapport du 23 Février 1942 : « Les gens ne sont pas équipés avec les souliers et les vêtements nécessaires , ce qui réduit de beaucoup leur capacité de travail , en particulier et surtout pendant la période hivernale. »

Mme Dereims dit : « Mme Rona , elle allait aux champs arracher des carottes avec des souliers à talons pointus. Elle était dans des états ! »

Mr Peltier :« Ils sont arrivés avec des costumes de ville , c’était pas de leur faute ! »

Mme Hélène Tarradou : « J’étais en pension à Forest , à la ferme, j’étais bien , j’avais à manger , j’allais à l’école, je n’avais plus besoin , à 10 ans ,de m’occuper de tout comme quand on était cachés à Paris. Le mercredi soir , pour la nuit , et le samedi soir jusqu’au dimanche soir , j’allais voir ma mère , qui travaillait au Radois. Elle n’avait rien , on dormait sur la paille ,il n’y avait pas de meubles , pas de vaisselle , rien : je n’aurais pas pu rester avec elle tous les jours . »

(En effet , avant d’arriver dans les Ardennes clandestinement en mars 1943, sur incitation de leurs cousins, la petite Hélène et ses parents se cachent après la rafle du vel d’Hiv.de Juillet 1942. Le père ,qui occupait un emploi clandestin, disparaît en Novembre, sans doute pris dans une rafle. .Tout le poids des démarches extérieures indispensables (tickets de ravitaillement etc…) retombe sur Hélène ,car sa mère a un fort accent yiddish .Hélène les entreprend à chaque fois en étant terrorisée , cachant son étoile sous le revers de son manteau , de Novembre à Mars… Heureusement, une employée de la mairie a deviné ...et lui recommande de toujours s'adresser à elle et à personne d'autre. Elle va seule à la gare de l’Est acheter les billets pour les Ardennes.)

Devant notre étonnement quant à la nourriture suffisante à la ferme , son mari confirme que le chef de culture savait qu’ils barbotaient des gerbes pour faire du pain , mais qu’il ne disait rien. Il y eut d'autres cas , heureusement , chez les chefs de culture .(voir :rôle des anti-nazis)

Mme Tarradou précise  : « Mon cousin Roger Gelbart , travailleur au Radois n’a pas de bons souvenirs , lui , il a travaillé , pas comme moi ,et il a souffert ! »

Les témoignages concordent pour décrire un travail parfois comparable à celui de bête de somme, comme la scène de la herse (Juifs attelés comme des bêtes à une herse ) dans le roman de Pierre Coulon, scène véridique relatée par sa mère.

Concernant les salaires , les tarifs sont ainsi fixés par la W.O.L. :
-Juifs : 30F ( dont 14F sont retenus pour la « nourriture »)
-Obmann et médecin : 60F
-enfant :8F
-deux enfants : 14F

Pour les ouvriers non Juifs , le salaire est de 60F.

Mr Fichelet : « Ils étaient payés .Si je vous disais que moi je touche une retraite de la CRAM de NANCY pour ça ! Les Allemands ont cotisé pour nous à la sécurité sociale …Les Polonais aussi touchent quelque chose .Je ne parle pas des Juifs , pour eux , je ne sais pas ! »


Scolarisation :

Concernant le sort des enfants , un document de l’Inspection académique du 17 Mars 1943 recense les élèves israélites scolarisés dans les écoles primaires .

Bulson 5 , Boutancourt 5, Beaumont (en Argonne) 4, Brévilly 3, Chagny 1 , Fraillicourt 2, Francheval 3, Frénois 3 ,Les Ayvelles 1, Margny 1 , Olizy 2, Pouru-St-Remy 2 , Poix-Terron 3, Puilly-Charbeaux 6 , Saint-Marceau 2.

Collèges : 0 Cours complémentaire : 0

A l’âge du collège ,et même avant, les jeunes Juifs travaillent , comme le dit Georges Winograd , survivant , âgé de 12 ans à l’époque, rencontré à Puilly-Charbeaux le 18 Janvier 2004 : « On pouvait aller à l’école seulement s’il n’y avait pas de travail… »

et à Beaumont-en-Argonne « on allait aux doryphores , pendant les jours d'école , sur réquisition , avec la maîtresse. »

Celle-ci , Mme Soidé , toujours alerte en 2005 déclare :

« Non , je ne me rappelle pas individuellement de mes élèves juifs , parce qu'ils travaillaient bien , ils n'y avait aucune différence avec les autres , nombreux , et répartis dans plusieurs classes . Je me souviens seulement que les jeunes garçons juifs tricotaient très bien , et étaient très gentils . »

R. Pingard. Bulson:« Quand les Juifs sont arrivés , on était content , ça faisait du monde à l’école ,avec Mr Habran, sinon ,on était que 4 .Ils étaient 5 , je me rappelle vraiment de tout, leurs noms , leurs maisons , des souvenirs…. »

Citons le livre « Poix-Terron » de Jean-Jacques Leroux :

« Ils jouissent d’une semi-liberté .Du jour au lendemain , des familles entières déambulent dans les rues .Qui ne se souvient de ces petites jumelles de 6 , 7 ans , allant à l’école main dans la main ?»

Nous profitons de cette publication pour solliciter les élus , secrétaires de mairie , enseignants retraités ou non , afin qu’ils recherchent les registres matricule des écoles primaires .

Bien souvent , ils ont été jetés , alors que ce sont des « papiers publics » devant être archivés. Mais nombre d’entre eux dorment encore dans des armoires , des remises , des greniers , parmi des cartons et des sacs de papiers non triés , et sans doute plus sûrement dans l’école , ou dans l’ancienne école, que dans la mairie .

Il faut savoir que les enfants les plus jeunes ne sont pas recensés la plupart du temps dans les listes diverses que nous possédons .

Merci à l’avance à ceux qui nous aideront , car nous n’avons jusqu’alors , malgré des démarches officielles entreprises depuis Janvier 2003 , pas réussi à consulter un seul de ces registres , à l’exception de celui de Beaumont-en-Argonne, et de ceux de Margny et d’ Herbeuval déposés à la Médiathèque de Sedan.


D/ Le chef de culture.

S’il suffit aujourd’hui de prononcer le mot W.O.L. dans les villages ardennais pour susciter des réactions , c’est en premier lieu à propos du chef de culture. Citons Robert Pingard ,enfant à Bulson : « Le chef de culture était très très dur , grand , toujours à cheval , avec une grande blouse blanche, il les tapait sans arrêt (les Juifs). A la fin , les avions américains lui fonçaient dessus, il se cachait dans les épines ,le cheval revenait tout seul , on se disait –il est p’têt mort - mais, d’la merde ! il rev'nait au soir… 

Il voyait tout , il savait tout . On avait de la nourriture , on ne pouvait pas y toucher : quand un prisonnier montait un sac de grain, il le secouait un peu , exprès, ça tombait dans les escaliers , on balayait vite, pour donner à 2, 3 poules qu’on avait. Il arrivait à le savoir , il venait… »

Les auteurs sont unanimes pour décrire les chefs de culture comme « de véritables maîtres de la vie paysanne «  (préfet en 1942) , et des « tyranneaux » ou « caïds », toujours munis de leur schlague.

Marcel Croizon , au Radois : « le chef de culture était beaucoup plus dur avec les Juifs qu’avec les prisonniers français , il y avait une différence . »

Nous savons que Günther , chef de culture à Francheval , était d’une dureté épouvantable .

Certains sont moins durs , en général plus âgés .Mr Peltier Jean , de Poix-Terron , âgé de 16 ans à l’époque dit : «  On en avait un , il avait fait 14-18, il avait de la pitié, beaucoup de pitié. On en a eu un autre avant , qui revenait du front russe , lui c’était une vraie peau de vache. »

René Posta , à Malmy : « le chef de culture il avait fait 14. V'là qu’ils se sont aperçus qu’avec le père Posta , maire de Chémery , ils étaient dans les mêmes tranchées ! …Alors , ils se parlaient . Mais sans plus , hein , attention , parce que c’était un Boche . »

Mireille Coulon ,de Remaucourt :  « J’ai vu une jeune fille juive , elle avait 18 ans , elle en avait tellement marre, ils leur en faisaient tellement baver, elle avait pris la poudre d’escampette, elle voulait repartir à Paris. Le chef de culture qu’est parti avec son cheval et un soldat à moto , ils l’ont rattrapée avant Ecly , ils te l’ont ramenée à Remaucourt en courant , pis des coups de fouet sur les fesses :ensanglantée qu’elle était ! Il a pu été question qu’elle se resauve… »

Tous les chefs de culture ont le souci de ne pas faire de vagues, ni risquer de perdre une place assez enviable.

Ils sont en opposition avec tout le monde, y compris la Kommandantur.

« Le Kreiskommandant Hoffenreich –Vouziers-…qui voulut bien fermer les yeux sur le retour officieux quand il n’était pas clandestin des cultivateurs en infraction rentrant en zone interdite. Ne serait-ce que pour contrer les chapeaux verts de l’Ostland qu’il ne pouvait supporter. » (P. Aubert).

« Chapeaux verts » était le surnom général des chefs de culture , mais il n’est pas connu de tous les témoins .Tous affirment par contre qu’ils avaient des surnoms personnels : le grêlé, le bancal, Prosper , Pain de sucre à Beaumont-en-Argonne, le père Koun à Forest,Casquette à Buzancy ,Gueule de chien à Brévilly…et à Poix-Terron : Henri IV , à cause de son cheval blanc.


E/ Mouvements entre communes.
Pour les besoins du travail , les travailleurs juifs sont déplacés par les chefs de culture .

Certains ont vécu dans plusieurs communes . Il semble que dans le Rethélois ce n’a pas été le cas.


F/ Evolution de l’attitude de la WOL , permissions, certificat médicaux, évasions.
Au début ,il est prévu 8 jours de congé par trimestre .Mais certains ne reviennent pas de permission .

On relève donc dans les documents divers signalements de personnes n’ayant pas rejoint leur poste de travail. Exemple :

Shulze-Berge, Kreisleiter de Sedan , dans un rapport du 23 Février 1942, déclare :

 « Neuf Juifs ont quitté d’eux-mêmes leur poste de travail. Les noms de ces Juifs devenus des fuyards ont été communiqués à l’U.G.I.F. et celle-ci a été priée d’agir pour leur retour. Ils ont toujours entre leurs mains des laisser-passer délivrés par le Kreislandwirt de Sedan. »

Les permissions sont supprimées. Les tentatives se multiplient alors pour obtenir des certificats médicaux d’inaptitude.

Ce n’est pas forcément une bonne stratégie, car le retour officiel à Paris signifie dans ce cas la déportation. Ceci nous évoque immédiatement la phrase murmurée en cachette aux nouveaux arrivants à Auschwitz, par les déportés qui les approchaient, et qu’ils ne comprenaient pas  : « sei gesund » en yiddish : soit en bonne santé ….sinon , en effet , ils étaient sélectionnés pour la chambre à gaz au moindre signe de faiblesse.

Les occupants durcissent leur position .

On trouve dans le même rapport établi par Shulze-Berge:

« Le médecin juif qui est dans la présente organisation a constaté que près de 50 °/o des Juifs ont des problèmes cardiaques . Il est clair qu’une grande partie de ces malades ne sont que des simulateurs et des paresseux. Actuellement , il y a encore 6 Juifs à l’hôpital local avec tous les défauts possibles . Je vous prie d’autoriser un examen de l’ensemble des Juifs par un médecin militaire. » Il envoie ce rapport directement au M.B.H. à Paris .

Il est frappant aussi de découvrir des consignes concernant la vie matérielle, les paillasses, les ustensiles de cuisine, le loyer et le chauffage gratuits … dont la lecture laisse croire à un souci de bienveillance envers les travailleurs , alors qu’on sait ce qu’il en est réellement.

Le 8 Novembre 1941, Shulze-Berge annonce à tous les responsables de Bezikslandwirte sous son autorité l’arrivée de 60 Juifs (ceux du premier transport, répartis entre Maison Blanche ,Bulson, Chagny, Blanchampagne ,Tétaigne). Ne disposant que de 40 matelas, il précise que ceci est de la responsabilité des Bezirk concernés ,qui ont deux jours pour trouver le reste :

C'était une mission difficile dans des villages pillés totalement .

Nous avons vu la pauvreté de l’inventaire de cuisine du camp de Blanche Maison.

Malgré cela , deux mois après , dans son rapport du 23 Février 1942, Shulze-Berge déclare :

« De notre part tout a été mis en œuvre en ce qui concerne le logement

et l’approvisionnement des Juifs , afin qu’on ne puisse nous faire aucun reproche.

Malgré tout , arrivent journellement dans notre service des demandes et des réclamations en vue d’améliorations , à la manière typiquement juive, demandes qui ne peuvent être satisfaites . »

Le 4 Août 1942 , il fait état dans une lettre au M.B.H. de la nervosité grandissante dans les camps (de Juifs) en raison des arrestations à Paris (rafles du Vel d’Hiv des 16 et 17 Juillet) et signale 3 évasions.

Gilbert Michlin cite une lettre d’Elie Binstejn , travailleur forcé à Bulson, lequel écrit à l’U.G.IF.le 29 Sept 1942, rempli d’angoisse comme on peut l’imaginer , pour demander des explications sur l’internement et le départ (en réalité c’est la déportation) des enfants et des familles des travailleurs juifs des Ardennes.

On lit dans plusieurs fiches individuelles de renseignements :  « épouse (ou époux) et enfants déportés », fait déclaré par l'intéressé.

Un témoin survivant rencontré à Puilly le 18 Janvier 2004 a confirmé : « On avait appris par des gens de Bulson qu’ils arrêtaient les familles à Paris. »

Les positions des occupants se durcissent.

On trouve en date du 1er Décembre 1942 une lettre émanant du S.D. Il s’agit du Aussenkommando de Charleville (établi rue de Tivoli) relevant de la SicherheitsPolizei de Saint-Quentin . Elle est signée de l’Obersturmführer S.S. Röder , et comporte en en-tête la mention :  « aucune référence » , comme à chaque fois .

« Les demandes de licenciement des Juifs sont par principe , non acceptées.

Vous êtes priés de nous indiquer les Juifs qui ne sont plus aptes au travail.

Par principe , les Juifs ne peuvent pas obtenir de congé. »

Ce qui peut se traduire par la formule connue : « Marche ou crève , et en silence !».

Le chef de la W.O.L. III à Mézières répond le jour-même . Il précise en objet qu’il s’agit des départs sans raison des Juifs de leur lieu de travail :

« La W.O.L. III vous informe que les instructions contenues dans votre lettre (réf) ont été transmises aux responsables concernés . »

On n’en doute pas un instant , ni du fait qu’elles ont été appliquées très durement, quand on écoute les témoins :

« Les travailleurs juifs étaient plus durement traités que les autres : frappés , contraints de travailler même mourants. Un jour , un Juif était mort dans un champ, vers Maisoncelle, d’une congestion pulmonaire .Ses copains ont jeté son béret dans un arbre où il est resté longtemps. » (R. Pingard , à Bulson)

On note heureusement des exceptions, assez nombreuses , par exemple à Forest , (Mme Tarradou) : les Juifs étaient traités comme les autres prisonniers ,ce qui est confirmé par Mme Dereims, pour Remaucourt : « le chef de culture n’était pas trop méchant »



G/ Rendement , bilan économique .
Là encore ,tous les avis des différents auteurs sont unanimes pour le qualifier de fiasco.

Malgré des moyens surdimensionnés en main-d’œuvre, tracteurs , matériel (et notamment les fameuses machines à labourer que vous l'on peut voir dans un film d'époque au musée « Guerre et paix » à Novion-Porcien, et sur le site de l'I.N.A..) , engrais , semences etc..la W.O.L. n’a que de piètres résultats. Les cultivateurs français ,sur les rares parcelles qu’ils sont libres de cultiver, font mieux sans moyens. Ceci est dû à la méconnaissance du terroir par les occupants et surtout à l’attitude négative de leur main-d’œuvre.

La W.O.L. laisse des dégâts considérables : arrachage des bornes , des arbres fruitiers, des clôtures, des abreuvoirs , des éoliennes…, culture des chemins d’exploitation , labourage des meilleures pâtures , appauvrissement des sols par mauvais usage des engrais ,sans parler du cheptel et des bâtiments.


Quand on apprend que la W.O.L. dépensait 1200 F pour produire un quintal de blé dont le prix était de 350 F sur le marché , on comprend que ses buts étaient autres que la production agricole.

Nous avons trouvé quelques rares exceptions, comme à Champigneul-sur-Vence. Mme Cavart et sa soeur, compagnes de Rosette Gruzworcel à la WOL , témoignent que des tonnes de choux ,pommes de terre , carottes , betteraves sucrières (un silo de 200m de long ! Où elles entassaient les betteraves sans relâche des jours d'hiver entiers,sous la pluie ) etc...sont parties régulièrement en Allemagne.



H/ Justification : la germanisation.

Nous avons vu plus haut que les Français luttent âprement pour tenter d’endiguer l’emprise de la W.O.L. sur les terres .Cette lutte se règle au plus haut niveau : Hitler lui-même interdit formellement toute restitution de terres ,quelle qu’elle soit.

On lit dans un rapport datable de Juin 1942 , émanant des autorités françaises, peut-être pour le SLAG –il n’est pas signé- destiné à proposer aux occupants des « mesures provisoires d’amélioration » :  « Si la W.O.L. n’est pas… une organisation poursuivant un autre but que l’exploitation rationnelle et intensive des terres des Ardennes…elle ne peut se refuser à accepter ce principe (NDLR :de la restitution des terres ). » .

C'est une manière prudente de désapprouver officiellement d’autres visées , qui sont résumées en langage populaire par la crainte de « devenir boche ».

René Rémond , dans la préface de l’ouvrage de Pierre Aubert , nous dit à propos de la colonisation agricole des Ardennes :  « Ce fut une des préoccupations constantes de l’administration préfectorale de tenir ces projets en échec. »

D’après H. Amouroux, le Dr Michel, chef de la section économique du MBH, parle de reconstitution de l’ancienne Lotharingie, sous forme d’un état appelé THIOIS, dont une frontière coïncidait avec la ligne de démarcation de la zone interdite .

Il est vrai que depuis 1870 , les Allemands n’ont pas épargné les manifestations de justification historique de l'annexion , mais concernant surtout l'Alsace-Moselle.

Or , en 1940, l'évacuation totale du département des Ardennes a été ordonnée et organisée par les autorités françaises , ce qui permet à l'Allemagne de le déclarer comme « prise de guerre ».C'est l'occasion , peut-être imprévue , de penser à l'annexion d'anciens territoires de Charlemagne , afin de reconstituer une partie de la Grande Allemagne médièvale .

Il est vrai que pour le secteur géographique qui nous concerne , les évocations ne manquent pas : fiefs mouvants (aux frontières de France), marches (de frontière), seigneurs germaniques des terres souveraines et Principauté de Sedan , villages ambedeux , (du latin ambo et vieux français ambes :littéralement relevant des deux :de la France et de l’Empire, tels , en ce qui nous concerne , Tétaigne et Vaux-les-Mouzon ….)

Médiéval , féodal, servage… sont des termes employés par ceux qui ont subi la W.O.L.

Dans cette perspective , on peut comprendre pourquoi les occupants ont pu transporter et mettre au travail forcé ,à titre expérimental , sous contrôle de la Police nazie, dans ce qu’ils nomment eux-même des JUDENLAGER , terme souvent retrouvé dans les Archives, des groupes de Juifs dans les Ardennes , territoire alors assimilé à une possession , et sous l’autorité d’un service , l’Ostland, dont la contestation était taboue jusqu’à Berlin :

en effet,le 1er Décembre 1941 ,Goering refuse de présenter à Hitler un mémorandum sur l’Ostland, et en février 1942 Von Ribbentrop refuse toute concession concernant l’Ostland.

( P. Aubert)

A propos de la police , précisons qu’il s ‘agit , de la SIPO S.D., police politique de sûreté nazie et son service de sécurité : le 28 Janvier 1941, c'est son responsable   Helmut KNOCHEN qui a demandé à l’administration militaire la création en zone occupée de camps d’internement pour Juifs étrangers en s’appuyant sur la loi de Vichy du 4 Octobre 1940 et sur l’existence massive de pareils camps en zone non occupée. Rappelons que certains de ces camps de la zone libre ont été créés par le gouvernement français dès Janvier 1939 ,suite à la loi de Novembre 1938 concernant « les indésirables étrangers » . L’internement est étendu aux Français « individus dangereux pour la défense nationale » en Novembre 1939.

Les internés sont des étrangers , des communistes , des Francs-Maçons , des Juifs étrangers , des Tsiganes , devenus après le 17 Juin 1940 réservoir de main-d’œuvre pour l ‘organisation TODT.

Signalons que « l’utilisation » des Juifs dans les Ardennes a eu lieu aussi dans le Judenlager des MAZURES, près de Revin. Il s'agissait de Juifs anversois , ouvriers diamantaires,qui produisaient du charbon de bois . A l'inverse des « Lager » de la WOL , le camp des Mazures , clôturé et gardé , était constitué de baraques construites par les déportés eux-mêmes.

En zone interdite, a existé aussi , à 90 km de Sedan, le camp de THIL , où l’on a même ramené des Juifs d’Auschwitz , pour assurer la construction et le fonctionnement d’une usine souterraine qui produisait des éléments de V1.

Le CAMP DE THIL (un Kommando de Natzwiller-Struthof) fut le seul camp d'extermination par le travail situé sur le sol français en territoire non annexé par les nazis , où a existé et fonctionné un four crématoirer .On peut penser que celui-ci était destiné à l’anexion, et que le statut de zone interdite n’aurait fait que précéder celui de zone annexée.

Revenons à la W.O.L. des Ardennes :dans son rapport du 23 Février 1942, après seulement trois mois d’ « expérience », Schulze-Berge , Kreislandwirt de Sedan déclare :

« Sur la possibilité d’utilisation (des Juifs) on peut se poser de plus en plus de questions. (…)De plus , on remarque ces derniers temps qu’une partie des Juifs n’a pas encore compris la raison de sa présence .Ils ne sont pas aptes même pour les travaux les plus simples , et en outre ils croient pouvoir rester ici uniquement pour avoir un meilleur traitement. (…..)

Cette expérience est ratée et on ne pourra jamais compter sur une main-d’œuvre utilisable pour notre but : je prie poliment d’arrêter tout nouveau transport car un Juif ne sera jamais utilisable pour les travaux agricoles . »

La question reste : pourquoi cette « expérience », ainsi nommée par les occupants eux-mêmes, a-t-elle eu lieu uniquement dans ce département ?


I/ La rafle des 4 et 6 Janvier 1944.
On trouve aux archives départementales ,émanant de la Sicherheitspolizei S.D., Kommando de Charleville, signé par l’ObersturmFürher S.S. Röder, l’ordre de mettre à sa disposition 24 gendarmes, 12 pour le jour , 12 pour la nuit, pour le transfert des Juifs .Un fonctionnaire a noté sur le document en date du 4 Janvier : « j’ai téléphoné à la gendarmerie qui a été avisée directement par les Allemands » !…Suit l’ordre de réquisition du Préfet aux gendarmes « au nom du peuple français , sur injonction des autorités d’occupation », toujours en date du 4 Janvier.

Cet ordre de la S.D. est précisé,comme à l'habitude  : sans référence. On voit là que l’ « expérience » est restée du début à la fin soumise au bon vouloir et au contrôle exclusif de la Police politique .

On trouve en date du 8 Janvier 1942 , une lettre de la Feldkommandantur de Charleville ordonnant au préfet d’adresser sans retard un état des Juifs résidant dans les Ardennes .Une précision est éloquente : « Les Juifs travaillant provisoirement à la W.O.L. ne doivent pas y figurer. »

On retrouve mention indirecte de la rafle dans nombre de « listes nominatives de « travailleurs étrangers de confession israélite » établies par les maires début Janvier 1944 qui portent l'annotation « emmenés par les Allemands » ou « enlevés par les autorités d’occupation » ou « emmenés pour une destination inconnue le 4 Janvier 1944 ».

Exemple à Nouart:  « enlevés par les autorités allemandes le 4 janvier pour une destination inconnue. »

Notons que l'emploi du terme « de confession Israélite » au lieu de « Juif » , dans le formulaire préfectoral était une forme de résistance administrative . Elle peut sembler dérisoire dans les faits , mais psychologiquement elle était importante car elle récusait la notion de « race » juive .

Des enfants figurent dans les listes communales d’Israélites alors qu’ils sont partis , mis à l’abri par leur mère : c’est le cas de Georges et Marie Winograd , enfants à Puilly. « J’avais 12 ans , Marie 7 ans. Ma mère nous a conduits en cachette à la gare de Carignan et nous a mis dans le train avec pour tout bagage plusieurs adresses d’amis à Paris.»

On se demande comment ils ont fait, ils ne s’en souviennent pas ; sans doute n’étaient-ils pas seuls dans ce train , leur mère avait peut-être demandé à un voyageur de les faire passer pour ses enfants?

Comment expliquer qu’ils figurent encore dans la liste communale de Janvier 1944 si ce n’est pour les protéger ? Les mêmes listes ayant été établies en Janvier 1943 , il y avait le risque qu’une comparaison révèle leur disparition.

Citons à nouveau Mr Abelanski : «  Quelqu’un à Puilly m’a dit : -votre frère (Joseph Terrasfeld) était au courant de la rafle. Il s’est échappé avec un autre garçon et , pris de remords , il est remonté dans le camion. Je sais aussi que mon frère avait une fiancée dont j’ignore tout.

Moi , j’ai échappé car je ne suis pas venu ici. Mes deux frères et moi , on était cachés dans la Sarthe de 42 à 44. On avait été placé par une assistante sociale de l’U.G.I.F. , mais qui devait militer en infiltrant ce réseau. »

Plusieurs personnes n’ont rien tenté pour s’échapper :

 Mme Tarradou dit : «Le jour de la rafle ma mère est redescendue du camion , pour aller poser mes papiers dans une ferme , et elle est remontée ! C ‘est vous dire si elle était perdue , elle n'avait plus le courage de lutter …Du jour où mon père a été déporté, elle était perdue , il était instruit , il parlait sept langues, alors qu’elle était illettrée. Ma tante était à Rethel ce jour-là , elle a vu les camions , on lui a dit que c’était un convoi de Juifs, elle a été voir , elle cherchait son beau-frère et elle est partie avec ! »

A Bulson , « le jour de la rafle , le maître d’école , Mr Habran , nous a fait sortir à 4h , plus tôt

que d’habitude. On a vu les camions , remplis de soldats allemands armés jusqu’aux dents, ils ont entouré le pays. Le maître a dit :Rentrez chez vous ! les petits pleuraient. Les Juifs ont été rassemblés dans une maison, voie de Chémery .Raymonde Nathanson était en vacances à La Besace ce jour-là , elle y a échappé. » (R.Pingard)

Raymonde fait partie des enfants sauvés , cachés jusqu'à la Libération .

Mme Dereims : « Les Allemands sont venus avec des fusils , ils ont ouvert les maisons chez nous , ils ont été voir au grenier , s’il y en avait des cachés.

Il y en a qui ont couché avec les vaches (il s’agit des Juifs ) . Il y avait une vache qui vêlait : ils avaient peur . Ils ont repris le train après . »

Mme Hastir :  « Il y a deux femmes qui étaient restées . Elles ont repris le train après . C’est même moi qui leur ai renvoyé leurs affaires dans une valise , dans la voiture du chef de culture ! Heureusement il ne le savait pas . c’est parce qu’il avait un chauffeur français . »

Il est établi que la rafle a eu lieu en deux temps : le 4 Janvier 1944 , puis le 6 janvier 1944.




Communes raflées le 4 janvier 1944:
Toutes celles du Rethélois : Rethel , Son , Fraillicourt , Seraincourt , Remaucourt, Ecly , Barby , Hauteville .

Autres : Champigneul-sur-Vence , Chagny , Poix-Terron , Beaumont-en-Argonne ,Yoncq Nouart , Briquenay , Buzancy , Les Petites-Armoises , Mouzon ,Vaux-les-Mouzon ,Euilly-Lombut, Blagny, Les Deux-Villes, Sachy , Sailly , Margny, Francheval , Frénois ,Wadelincourt.

Trois communes sont raflées en partie :on emmène les hommes à Puilly et Herbeuval , les hommes et quelques femmes à Bulson.


Communes raflées le 6 janvier 1944:
On emmène les femmes et les enfants restés à Bulson , Herbeuval et Puilly.

Autres : Chalandry , Singly , Brévilly , Tétaigne .

On ne trouve aucune explication logique à cette rafle en deux temps .Elle a permis certains sauvetages : une personne ayant échappé à la rafle à Frénois a eu le temps de se rendre à Tétaigne pour prévenir toute sa famille et les autres personnes présentes .

Les personnes prévenues n'ont pas toujours accepté de fuir : soit par lassitude et épuisement moral , soit pour ne pas se séparer de leurs parents .

L'enregistrement des entrées à Drancy , venant de Charleville , se fait les 5 et 7 Janvier .Il n'y a pas eu de transit dans un lieu clos (prison , caserne, camp, stade ...), si ce n'est une attente à la gare de Charleville.

Deux frères , évadés sans se concerter en gare de Charleville, ont la surprise de se retrouver à l'appartement familial à Paris , où ils arrivent l'un après l'autre à moins d'une heure d'intervalle !

D'autres communes ont été « visitées » , mais personne n'y a été pris :

Dans la commune de Saint-Marceau , constatant que nous ne retrouvions aucune des personnes présentes dans les convois , nous avons eu l'explication suivante par

Mr Serge René , de Champigneul-sur-Vence :

« A Saint-Marceau , ils avaient prévu que ça pouvait tourner mal alors ils avaient tout organisé à l'avance avec les cheminots résistants de la gare de Charleville. Ils ont été prévenu de la rafle et ils sont partis avant , en train . »

On lit dans le Calendrier de S. Klarsfeld : entrées à Drancy , le 5 Janvier 1944 , 205 personnes venant de Charleville, « retour des ouvriers agricoles des Ardennes partis en 1942 » , 41 personnes le 7 Janvier et 4 personnes de Charleville le 15 Janvier , sans précision.

On sait que ces trains emportaient aussi des Juifs du Camp des Mazures et des Juifs ardennais , ce qui explique la différence dans les nombres .

Les recoupements ont permis d'établir que :
1 personne de la WOL internée à Pithiviers venant de Frénois en Août 42 ,convoi 25.
1 personne de la WOL arrêtée à Frénois ,convoi 53.
1 personne de la WOL entrée à Drancy le 24/11/43 ,convoi 66.
219 personnes de la WOL ont été raflées dans les Ardennes les 4 et 6 janvier 1944 puis déportées dans le convoi 66 .
4 personnes de la WOL arrêtées en Janvier 44 à Tétaigne et Euilly-Lombut , convois 67 et 68 1 personne de la WOL en Février 44 à Balaives , convoi 69
2 personnes de la WOL arrêtées en Mars 44 à Bulson et Poix-Terron , convoi 73.

On doit ajouter :
5 personnes arrêtées dans les villages (motif ignoré) et déportées dans le convoi 47:

Mr Bertrand , témoin à Boutancourt , nous avait mis sur la voie : « Tous les hommes ont été arrêtés bien avant la rafle , il ne restait que les femmes et les enfants ... »

On retrouve en effet , dans la liste originale du convoi 47 , composé de « 1000 Juifs apatrides ou appartenant à des nationalités déportables » (S.Klarsfeld)
-Nadeltwager Maurice , «ouvrier agricole, Boutoncourt par Flige »
-Goldfarb Baruch dit Bernard , « ouvrier agricole Boutancourt par Flise. »
-Erder Chaïm, « ouvier agricole Francheval. »
-Nathanson Naftule « ouvrier agricole Wadelincourt . »
-Marcuse Hans « Vaux-les-Mourzon »

Tous les cinq appartiennent à la sous-liste « Drancy 2 » (deux autres travailleurs de Boutancourt et de Francheval se trouvent dans le même convoi , mais nous n'avons pas la preuve de leur probable arrestation sur place .)

Un témoin , Juif compagnon de travail de Hans Marcuse, a assisté à son arrestation à Tétaigne:  « Quand on l'a pris , il nous a crié : - Ils vous auront tous , on vous emmènera comme moi , sauvez-vous ! ils prendront tout le monde...»

TOTAL : 234 travailleurs agricoles Juifs déportés suite à une arrestation ou une rafle dans les Ardennes .

Par ailleurs , 93 autres travailleurs agricoles sont déportés en 1942 et 1943 , dans 41 convois différents , après arrestation dans un autre lieu :les archives montrent les plaintes allemandes au sujet des « Juifs ayant quitté le travail sans autorisation ».

L'arrestation a lieu aussi lors d'une permission à Paris, comme dans le cas de Pauline Fragman .Anecdote : Son nom est cité dans le film « Mr KLEIN » , au moment de l'arrivée au vélodrome lors de l'appel des noms au micro .

On retrouve les personnes déportées par 2 ou 3 dans ces convois , sauf dans le convoi 7, du 19 Juillet 1942 , le premier qui part après la rafle du Vel d'Hiv:,avec 11 travailleurs de la WOL.

Les premiers sont déportés de Compiègne à Auschwitz dans le convoi n° 2 du 5 Juin 1942. Il s’agit de :

-Motel ROZENWEIG , né le 5 /6/1906 à Luligow en Pologne , tailleur à Paris 3ème , recensé à la WOL à Tétaigne le 18 /1/1942 , et décédé à Auschwitz le 27 Juin 1942.

-Clordka FALKOWICZ ,né le 10/10/1892 à Lukow en Pologne,cordonnier à Paris 3è,recensé à La WOL à Sailly-Blanchampagne le 17/1/42.


Le dernier est déporté dans le convoi 78 du 11 Août 1944 ,parti de Lyon:

  • BEM Jrune, né le 5/5/1926 , recensé à la WOL à Seraincourt en 1943.

On retrouve 3 personnes fusillées :

Frédérik Goldenberg, né le 22 janvier 1925 à Anvers, Turc, apprenti tourneur , venant de Paris , 4 , rue de la Tour d’Auvergne, recensé au lager de Flize le 16 Janvier 1942, dans une

liste d’évadés envoyée à l’UGIF le 6 Mars 1942, fusillé ou abattu sommairement dans les Vosges le 6 Février 1944. ( Mémorial de Serge Klarsfeld)

Robert PAL , né le 12 Novembre 1889 à BAJA en Roumanie , Hongrois ,pharmacien ,7 ,rue du président Louis-Philippe à Paris, recensé à la WOL à Remaucourt le 1/1/43 et le 1/1/44 , s’est échappé lors de la rafle du 4/1/44 , arrêté par la Feldgendarmerie à Doumely-Begny le 6 Juillet 1944 .

(motif : «  nationalité juive »), emprisonné à Rethel , transféré à la prison de Charleville le 8 Juillet 1944 , fusillé comme otage à Tournes , au bois de la Rosière , le 29 Août 1944.

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26 mai 2006 5 26 /05 /mai /2006 17:00

Lilly BAUER , née KLEIN , le 16 Février 1904, à Budapest , Hongroise, recensée à la WOL de Remaucourt le 1/1/43 et le 1/1/44. Arrêtée et fusillée en même temps que Robert PAL .

Robert et Lilly figurent sur le monument à Tournes , Lilly sous le nom de Lilly PAL , et Robert figure sur le monument de la Résistance à Berthaucourt.

Robert et Lilly ont été inhumés au cimetière de Tournes . La commune entretient leurs tombes , dans le carré des fusillés , sous une grande croix de Lorraine en bois .

Mme Dereims dit : « Mr et Mme PAL ,c’étaient des bonnes gens , oui , je le revois encore Mr PAL , il était hardi. Le jour de la rafle ils se sont sauvés dans le bois d’Herbigny, puis ils ont été rattrapés et fusillés , ils sont sur un monument . »

Mme Hastir ,de Remaucourt : « Il y avait un pharmacien avec sa femme qu’étaient à Doumely. Fritz allait les ravitailler en douce , mais ils ont été pris . Ils ont été fusillés. »

Précisons que les 13 otages de Tournes ont été fusillés en représailles d’une action de la résistance : le 27 Août , des résistants renseignés par le réseau de madame Marie-Hélène Cardot , ont détruit 13 autocars afin d’empêcher l’envoi de prisonniers français en déportation . L'action est menée par Marco (Jean Makowski) sur ordre du commandant fournier (André Point) .(Ardenne Tiens Ferme n°103 -1985)

Ceci nous amène à poser la question de la résistance : s’il est certain que pendant 2 ans pour l’un et 6 mois pour les deux autres , ils ont pu compter sur l’aide de résistants pour se nourrir et se cacher , ont-ils eux-mêmes participé ?

Nous le supposons pour Robert PAL , car son nom est inscrit au mémorial de la Résistance des Ardennes , à Berthaucourt.

Sur cette question : des travailleurs juifs de la WOL ont-ils rejoint la résistance ? nous ne pouvons citer à ce jour que le cas de Kiwa PRAJS , sauvé par Lucie Laroche-Ficher et Melle Dutus à Wadelincourt.Il a rejoint la résistance dans le Jura ,où il faisait passer des aviateurs anglais en Suisse.


J/ Le rôle des ardennais et des allemands anti-nazis, les survivants.
Il apparaît que sur les 683 personnes concernées , plus de la moitié n’ont pas été déportées.

Les raisons sont diverses : évasions, déplacements produisant fortuitement le sauvetage …On note aussi la fuite au moment de la rafle , prévenus par les villageois ou même par certains chefs de culture ou leurs adjoints , comme « le Fritz » de Remaucourt .

Mme Hastir dit de lui : « Fritz c’était un allemand , mais il était pas allemand : sa grand-mère était Française .Il a tout fait pour les Français : il y en avait du côté de Doumely par là , il leur a dit de ne pas se rendre à la ferme (le jour de la rafle ). »

Mme Dereims confirme : « Il leur a dit à tous  : vous pouvez vous sauver si vous voulez , mais il y en a qui n’ont pas voulu. »

Et la concernant : « J’ai caché des Juifs de Paris , Einhorn.  Ils faisaient la couture , ils avaient un fils de 18 ans.. On a fait revenir leur nièce de Paris parce que les Allemands avaient pris toute la famille, mais elle s’a cachée .Elle s’appelle Suzanne Basch , elle est devenue ma

belle-sœur. On l’avait emmenée chez mon père , à Lalobbe .Il a dit : il faut lui enlever ce machin-là…. , en parlant de l’étoile . Et il disait : c’est ma petite-fille de Vouziers...

On était hardi , on les a emmenés à St-Loup-en-Champagne. Mais ils ne pouvaient pas rester , on les a ramenés. On les a reconduits à la gare de Wasigny , c’étaient des Hongrois , très

gentils .Après la guerre , j’ai jamais eu de nouvelles .J’avais 3 gamines , j’aurais pu partir en Allemagne , on pensait pas à tout ça. »

Serge Jelen , concernant son père Icek , travailleur forcé à Frénois :

« Abram ça n’a été son prénom qu’à Sedan, où le chef allemand l‘appelait Abram der Graf von Palestine , lui qui en était si loin, Abram le comte de Palestine ! Le chef de culture était un homme qu ‘il aimait je crois , en tout cas , il lui doit la vie , et ce monsieur après la guerre

s 'est installé en région parisienne , je ne me souviens plus de son nom, mais , s ‘il a des enfants , j aimerais bien les voir . »

Aux Deux-Villes , le chef de culture a prévenu les enfants Lorenter .

Celui de Balaives a donné des conseils de fuite.

Celui de Forest a feint d' ignorer la présence d'Hélène après la rafle.

Celui de Tétaigne,Setter ,d'après une survivante, « était brave .Ils l'ont envoyé en Russie , car il aimait les Juifs; une Polonaise l'a dénoncé : Chef lieben Juden. »

Mr Dion : « Il avait un sac couvert de poils , il l'a levé et nous a dit au revoir. Il a été blessé d'un coup de baïonnette en Russie mais il s'en est tiré. Il est revenu à Tétaigne vers 1960-65.Il a fait la fête avec le village , on lui a payé le champagne. »

D'autres restent à découvrir.

Principalement pour les enfants ,c’est aussi le sauvetage par les villageois , le processus des enfants cachés.

Comment ne pas parler de Mme Quatreville postière à Beaumont-en-Argonne ,qui cacha dans une cave la petite Charlotte Rozenzwzeig, âgée de 12 ans ,et la garda plusieurs mois jusqu’au retour de son père, sauvé lui aussi grâce à elle?

Mme Tarradou est la seule survivante vivant aujourd’hui dans le département des Ardennes .Elle dit : « Aussitôt la rafle , ma nourrice m’a dit : tu ne vas plus aller à l’école. Puis j’y suis retournée au bout d’un moment. Un jour les gendarmes sont venus et ont demandé après une petite Juive , qui était encore là. Le maire leur a dit :oui , elle est là , mais vous n’y toucherez pas . Si vous y touchez , vous ne verrez pas la fin de la guerre. Ils sont repartis. Le chef de culture savait que j’étais là , il n’a jamais cherché d’histoires. 

Sauf ce jour-là , et jusqu’à ce jour (9 Août 2004), jamais le mot juive n’a été prononcé pour parler de moi , jamais , jamais un mot. »

Il faut noter que sa nourrice l’a gardée jusqu’en Juillet 1946 ! Ensuite , sa famille et l’O.S.E. (Organisation Sociale des Enfants) l’ont prise en charge , jusqu’à son retour à Forest pour son mariage.

Parlons de Mme Choisy , secrétaire de mairie à Remaucourt. Elle remplaçait Mr Douzamy , lui-même emprisonné par la Gestapo à Rethel , sur dénonciation , pour avoir établi des faux-papiers. Mme Choisy en fait aussi , pour des Juifs , et pour un aviateur anglais .

« Les Juifs , je leur ai fait des faux-papiers pour eux repartir : un jour , ils m’ont envoyé une boîte de parfum. J’étais pas trop fière quand on m’a demandé de faire ça . »

Il faut rendre hommage à tous les Ardennais , nombreux , et aux Allemands anti-nazis qui ont aidé ces personnes.

Mr Mennessier du Radois dit :

« Ma sœur avait caché une Juive , en évasion , qui ne savait pas trop où aller. Pour circuler elle lui avait fait une gerbe comme si elle allait à un enterrement .Elle avait fait partir sur Reims , dans le camion du Goulet , des aviateurs qui étaient cachés dans l’église. Il y en avait des collaborateurs , mais c’était vraiment minime . »

(NDLR : « Le Goulet » désigne l'entreprise d'épicerie Goulet-Turpin, ayant de nombreuses petites succursales et des camionnettes faisant des tournées dans la région.)

On constate au fil des visites dans les villages , à travers les témoignages , un nombre impressionnant et tout à fait admirable de faits de résistance courageux en faveur des Juifs : fréquentation amicale, soutien moral, ravitaillement, renseignement , fausses déclarations , faux-papiers, transport , aide à la fuite et au passage de la ligne, caches clandestines, enfants cachés.

Tous ces actes interdits , du plus modeste jusqu’à celui valant la peine de mort , ont été , de la part de nombreux Ardennais, qu’ils soient cultivateurs , gendarmes , secrétaires de mairie, instituteurs, maires etc…un grand réconfort pour toutes ces personnes et ont contribué à mettre en échec les intentions nazies.

L'avancée des recherches a permis d'établir une liste, qui ne cesse de s'allonger , de personnes ayant sauvé des Juifs . Il est impossible de les citer toutes ici. Elles feront donc l'objet d'une brochure à part .

Il faut souligner aussi l’unanimité des témoignages prouvant que l’entraide était réciproque : de part leurs métiers , nombre de personnes juives ont ressemelé des souliers , raccourci ou « arrangé » et même cousu des vêtements, soigné des dents, des blessures, des maladies , et - chose incroyable- fait du petit commerce de contrebande belge ! Tous ces services étaient très précieux en ces temps de pénurie sévère.

Un seul témoignage à ce jour rend compte d’attitudes différentes envers les Juifs :

« Il y a eu pendant un certain temps dans la maison voisine à la nôtre une famille juive déportée. Mes grands-parents n’ont jamais fait de mal à un Juif mais sa présence ne les a pas enthousiasmés . Bien que je ne me rappelle pas qu’on m’ait dit du mal de ces Juifs , j’ai bien compris qu’il était plus prudent de ne pas trop s’en approcher.(Je me rappelle avoir entendu dire que c’était eux qui possédaient la finance , les commerces …) Je reconnais que beaucoup de non-Juifs ont à être fiers de leur comportement mais il y avait quand même chez les « braves gens » une certaine réticence à leur fréquentation. Ne pensez-vous pas que vos témoins enjolivent les choses ? »

Nous pouvons certifier que ce n'est pas le cas , les familles juives retrouvées ayant toutes , à ce jour , confirmé les témoignages qui leur étaient soumis .

Il faut noter que ce témoin était parisien, en vacances dans les Ardennes . Il cite lui-même les clichés sur les Juifs , inconnus des Ardennais qui déclarent : « à l'époque , on ne savait pas ce que c'était , être Juif. ».

Terminons par un passage de l’article publié le 11 Avril 1945 dans l’ Ardennais, par Mr Adolphe Rosenberg :  « …pour remercier de tout cœur les habitants de Poix-Terron et des environs qui , au péril de leur vie ,ont réconforté, aidé et sauvé des malheureux israélites déportés dans leur région par la Gestapo…Les conditions de vie étaient abominables :

nourriture infecte , coups , injures , etc…Heureusement pour nous , les habitants du village et des environs nous aidèrent de leur mieux et , malgré les menaces des policiers de Hitler , firent tout ce qui était en leur possible pour nous assister et nous sauver de la misère physique et morale à laquelle nous vouaient nos persécuteurs. Pour moi , je garde un souvenir attendri et reconnaissant à Mr Aimé Massiaux, de la coopérative agricole ,Mr l’abbé Jean-Marie Leroux et sa sœur , qui sauvèrent la vie à ma fille en lui fournissant des faux-papiers et en la soignant au mieux. Merci aussi à Mr Jacques , fermier à la Crête-Mouton, qui au risque des plus grands dangers , a sauvé mon fils d’une mort presque certaine…..

Je n’ai garde d’oublier Mr Prim , de la ferme de Géraumont à Baâlons, sa fille Mme Desglisières , qui , malgré la terreur nazie , m’ont caché et soigné comme un frère .

Je n’oublierai jamais la scène bouleversante qui s’est passée à Poix-Terron le dimanche qui a suivi la libération .Depuis la veille, l’allemand avait fui et les habitants sortaient de la messe lorsque quelques israélites , sauvés par eux, arrivèrent sur la place de la mairie . Ce fut une embrassade générale , des cris de : Vive la France !. Le maire , le curé , les gendarmes , tout le monde était là et un grand souffle de fraternité passait sur la foule , sans distinction d’opinion et de religion .Tout le monde fêtait la liberté retrouvée et communiait dans le même amour de la France éternelle! »

Ces sentiments envers la France se retrouvent chez Icek Jelen , travailleur forcé à la WOL à Wadelincourt et à Frénois.Son fils Serge , aujourd’hui en Israël dit :

« Mon père , un petit homme timide aux yeux bleus , toujours vêtu de son chapeau , son manteau et son écharpe , jusqu’à la fin de ses jours .Ils les gardaient même à table , de peur ...que les Allemands ne soient à la porte... !

Que quelqu’un daigne s'intéresser à l ‘humble personne que fut mon père , admirateur inconditionnel de la France , cette France où il a tout perdu , mais qu’ il aimait tant, me retourne profondément.

Mon papa ,cet amoureux de la France, est décédé sans nationalité , lui qui a tenu à ce que j ‘accomplisse mes obligations militaires , lesquelles par ironie du sort eurent lieu en Allemagne. »

Aujourd’hui est venu le temps de la mémoire : celle des Juifs de la W.O.L. est indissolublement liée à celle des villageois et des Allemands anti-nazis qui les ont aidés.

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